mercredi 25 mai 2022

Black Widow (arcade) Atari

La compagnie Atari des débuts, la fameuse "Atari Inc." ayant perduré de 1972 à 1984, a naturellement une place toute particulière dans l'histoire du jeu vidéo, certes exagérée par le chauvinisme américain, mais néanmoins incontestable. Ainsi, les jeux Atari de cette période, surtout les jeux d'arcade, sont très souvent perçus comme des piliers fondateurs de l'art vidéoludique : "Breakout", "Pong", "Lunar Lander", "Battle Zone", "Asteroids", "Tempest", "Missile Command", "Centipede", "Gravitar", "Star Wars", etc. ont tous une aura considérable auprès des joueurs, même les plus jeunes.


Pourtant, il y a un jeu Atari de l'âge d'or qui se trouve presque toujours ignoré lorsqu'il s'agit d'évoquer cet héritage, alors qu'il coche toutes les cases qui auraient dû faire de lui un grand classique : il s'agit de "Black Widow". Jugez plutôt :
  • Non seulement "Black Widow" est un jeu Atari de l'âge d'or (1982), mais c'est un jeu vectoriel (en couleur, qui plus est), un type de représentation qui fut pendant un temps considéré comme désuet, mais qui est depuis revenu à la mode et suscite une fascination particulière, surtout depuis la sortie de "Geometry Wars : Retro Evolved" en 2005. Signe de cette popularité : la scène indépendante de la vénérable console Vectrex (elle aussi sortie en 1982) est étonnamment vivace, on aurait donc pu croire qu'un jeu Atari vectoriel attirerait automatiquement l'attention.
  • "Black Widow" est un twin stick shooter, un genre là encore redevenu extrêmement populaire suite à l'immense succès de "Geometry Wars : Retro Evolved", et le jeu est de surcroît sorti la même année que "Robotron : 2084" - il fait donc partie des pionniers, ce qui lui apporte forcément une certaine importance historique.
  • La réalisation de "Black Widow" est exemplaire : c'est un jeu rapide, coloré, nerveux, détaillé, parfaitement lisible et bien équilibré, qui a d'ailleurs rencontré un bon accueil à sa sortie. Joué de nos jours, le jeu est toujours très amusant et très motivant, avec un gameplay non punitif pour un débutant, et beaucoup de subtilités de scoring.
Alors, pourquoi "Black Widow" n'est-il pas plus référencé et reconnu ?

Il y a une explication qui tient en un mot : "Gravitar". En réalité, "Black Widow" est un kit de conversion de "Gravitar" - ce procédé était alors courant dans la gestion d'une salle d'arcade : au lieu d'acquérir une nouvelle borne, on pouvait acheter à prix réduit de quoi transformer un jeu en un autre. Comme "Gravitar" avait rencontré un accueil décevant, Atari a donc proposé aux gérants de salles d'en faire des bornes "Black Widow" - mêmes les bornes "Black Widow" issues des usines d'Atari étaient bien souvent des bornes "Gravitar" invendues et converties.

La nature des bornes d'arcade "Black Widow" est très bien expliquée et illustrée dans cette vidéo de TNT Amusements, entreprise de vente et restauration de bornes d'arcade située à Southampton en Pennsylvanie (USA), dont je vous recommande l'excellente chaîne YouTube avec insistance - c'est un trésor lorsqu'on s'intéresse aux machines d'arcade (flippers compris) :


Cette situation où "Black Widow" a en quelque sorte pris la place de "Gravitar" a, sur le long terme, plutôt nui à la réputation et à la disponibilité du jeu. Avec le temps, "Gravitar" a été reconnu comme un grand classique qui a créé un genre, le jeu de tir où l'on doit composer avec la gravité et l'inertie ("Thrust" sur Commodore 64, "Solar Jetman" sur NES, "Zarathrusta" sur Amiga, etc.) ; et dans l'objectif de réhabiliter le jeu, on a voulu voir dans "Black Widow" un simple produit commercial et cynique ("Robotron : 2084" que l'on aurait rhabillé avec le thème des arthropodes de "Centipede") afin de valoriser "Gravitar" par comparaison...
En parallèle de ce narratif très partial se pose la question matérielle : comme une grande quantité de bornes "Black Widow" sont originellement des bornes "Gravitar", elles peuvent être restaurées en bornes "Gravitar" ; opération que beaucoup de propriétaires ont effectuée, raréfiant les bornes "Black Widow" et participant à l'effacement du jeu.

Ainsi, "Black Widow" est bizarrement méconnu alors qu'il a eu plus de succès que "Gravitar", et qu'il est à mon humble avis un bien meilleur jeu : on pourrait en effet contre-argumenter face aux partisans de "Gravitar" et détracteurs de "Black Widow" qu'après tout, "Gravitar" est un simple croisement entre "Lunar Lander" et "Asteroids", avec une difficulté brutale et décourageante, un gameplay plutôt lent et frustrant, et une action assez triste et monotone... tout le contraire de "Black Widow" !

De l'importance de la boustifaille chez les arthropodes

Si l'on a déjà joué à d'autres twin stick shooters, on se sent assez vite à l'aise dans "Black Widow". On y dirige une araignée sur sa toile qui, au lieu de capturer les insectes, se fait envahir dans son espace vital par ceux-ci, nullement entravés et très hostiles. Pour se défendre, notre araignée peut projeter de petites boules de toile dans huit directions et ainsi tuer les envahisseurs - on déplace l'araignée avec le stick gauche de la borne, on attaque avec le stick droit, il n'y a pas de bouton, tout est très simple.


Avec un minimum d'expérience du genre, même sans rien connaître aux particularités du jeu et en improvisant face aux nouveaux éléments rencontrés, on peut se débrouiller de façon apparemment très correcte : bien se repositionner pour garder ses distances, mitrailler les groupes, attraper quelques bonus de temps en temps lorsque la voie est libre, se déplacer en cercle large autour des ennemis qui tirent des projectiles, etc. permet de rester raisonnablement en vie à comparer d'un jeu comme "Robotron : 2084" par exemple, qui est spectaculairement plus chargé et plus agressif, et qui exige de connaître par cœur son bestiaire afin de viser les bons ennemis en priorité (comme les ronds qui génèrent des robots qui eux-mêmes tirent des projectiles).
Signe que cette accessibilité de "Black Widow" est délibérée : lorsqu'on démarre une partie, on peut choisir de commencer le jeu à la vague 1, 5, 9, 13, 17 ou 21 (réglage par défaut), comme "Tempest" permettait de commencer à un niveau impair de 1 à 9. Après avoir perdu au-delà de ces vagues, si l'on redémarre une partie aussitôt, on peut continuer à la dernière vague atteinte numérotée d'un multiple de 4 plus un. La première vague du jeu est assez lente, ce qui permet de bien prendre ses marques, on y est très loin de la frénésie de "Robotron : 2084".

Cependant, se contenter de jouer à "Black Widow" à l'instinct vous fera rater énormément d'occasions de scoring. Première chose qu'il faut intégrer impérativement : en règle générale (on examinera les exceptions), tuer les ennemis ne rapporte aucun point, le score vient presque exclusivement des bonus ! C'est étonnant et très inhabituel : à comparer, dans "Robotron : 2084", sauver les humains rapporte certes beaucoup plus de points que détruire les ennemis, mais ceux-ci en rapportent tout de même !

Bien sûr, cela change totalement la pertinence de la stratégie instinctive décrite plus haut : comme les bonus surviennent à la mort des ennemis et perdent assez vite leur valeur, si on "tire dans le tas" en gardant ses distances jusqu'à neutralisation complète des ennemis, les bonus ne vaudront plus grand-chose au moment de leur collecte, et notre score ne décollera pas. En vérité, le jeu est truffé de particularités qui enrichissent son gameplay et son scoring : "Black Widow" en expose certaines lors de son "mode démo" (lorsque personne ne joue à la borne), mais nous allons maintenant toutes les passer en revue, à commencer par le bestiaire à six et à huit pattes du jeu, extrêmement varié...


En suivant le même ordre que sur l'image ci-dessus, nous avons donc :
  • L'araignée ("player") : on l'a dit, le contrôle de notre araignée est très instinctif, mais il comporte quelques spécificités : déjà, on ne peut se déplacer que sur notre toile (qui conserve toujours la même forme), il est donc impossible d'aller aux bords de l'écran (mais on peut marcher sans problème sur le trou situé au milieu). Ensuite, concernant nos tirs, comme beaucoup de jeux de l'époque, le nombre de balles à l'écran est limité, on tire donc par salves, et en plus de cela, notre portée de tir ne couvre pas tout l'écran. La pause entre les salves est brève, mais suffisante pour nous faire courir un risque si l'on s'expose sans en tenir compte - le plus sûr est de tirer ponctuellement pour être précis. Nos tirs ricochent sur les bonus, appelés "grubsteaks", ce qui est très pratique pour détruire les groupes. Par défaut, notre araignée gagne une vie tous les 20.000 points et commence une partie avec 2 vies en stock.
  • Les grubsteaks : ce sont les bonus, en vérité les cadavres des insectes tués. L'appellation est un jeu de mots : "grub" signifie à la fois "ver" et "boustifaille", "steak" est explicite, et "grubstake" signifie "financement". Si on devait le traduire, on pourrait parler de "pitance", mais autant garder "grubsteak", ça justifie que les bonus aient l'apparence de signes '$'. Les grubsteaks valent 500 points (en blanc) puis ils changent de couleur avec le temps, valant assez rapidement 250, puis 100, puis 50 points avant de disparaître. Si on tue un insecte en dehors de la toile, il ne produit pas de grubsteak et ne rapporte que 25 points.
  • Les moustiques ("mosquito") : c'est l'ennemi le plus anodin du jeu, qui par moments ne nous poursuit même pas, et au lieu de ça volette en groupe ici ou là. On pourrait croire que ce comportement erratique nous arrange, mais ça rend les mouvements des moustiques difficiles à anticiper : comme on doit se rapprocher de ses proies avant de les tuer pour éviter que leur grubsteak ait le temps de s'abîmer, et comme notre tir fonctionne par salves, on peut facilement se faire toucher par un moustique qui change brutalement de direction, et ainsi perdre une vie bêtement.
  • Les scarabées ("beetle") : contrairement aux moustiques, les scarabées ne folâtrent pas, ils ont faim ! Ils foncent ainsi vers notre araignée pour la manger, sauf s'il y a un grubsteak à proximité, auquel cas ils s'y dirigent et l'engloutissent au moindre contact - ils peuvent ainsi nous faire rater beaucoup de points potentiels. On notera que ça ne les gêne pas de manger les cadavres de leurs congénères : le monde des arthropodes est impitoyable !
  • Les frelons ("hornet") : les frelons se comportent comme les scarabées, à la différence près qu'ils ne cherchent pas à manger mais à pondre - ils ne font pas disparaître les grubsteaks, ils les changent en œufs. Là encore, ça ne les gêne pas de pondre dans les cadavres de leurs congénères, et ils chassent notre araignée s'il n'y a pas de grubsteak en vue.
  • Les œufs ("egg") : les œufs pondus par les frelons sont de deux types, l'un (jaune et rouge) contient une larve de frelon et éclot assez vite, l'autre (rouge et violet) contient une larve de spoiler et est bien plus lent à éclore. Pour empêcher les œufs d'éclore, on doit les pousser hors de la toile, soit jusqu'à ses bords, soit dans son trou central. Se débarrasser des œufs rapporte des points suivant un système de combo : le premier œuf neutralisé rapporte 500 points, le second 1000, le troisième 1500, le quatrième 2000, etc. Le combo se réinitialise au début de la vague suivante ou à la perte d'une vie, et se maximise à 2500 points.
  • Les spoilers : ces gros insectes intimidants ne viennent pas gâcher l'effet de surprise de nos fictions mais pourrir la vie de notre araignée - ils sont en effet invulnérables à nos tirs, qui les font simplement reculer. Heureusement, ils arrivent dans l'aire de jeu uniquement par le biais des œufs, et ils ne sont pas toujours hostiles, ils quittent parfois la toile de leur propre gré. Ils ont une particularité unique que l'on détaillera plus tard : ils peuvent détruire des pans du décor. Même si on ne peut pas les tuer avec nos boules de toile et s'ils ne laissent pas de grubsteak derrière eux (seuls les moustiques, les scarabées et les frelons en produisent), les spoilers ne sont pas complètement invincibles, ils peuvent être tués et rapporter des points de façon détournée...
  • Le bug slayer : cet insecte rond n'est pas un ennemi mais un concurrent, il ne chasse pas notre araignée mais cherche régulièrement à dévorer un insecte parmi ceux déjà évoqués, y compris les grubsteaks (mais pas les œufs). Lorsqu'une cible est visée par le bug slayer, elle clignote : si on arrive à prendre le bug slayer de vitesse, sa cible nous rapportera plus de points qu'habituellement, là encore suivant un système de combo : d'abord 600 points, puis 650, puis 700, puis 750, etc. Ce score peut même être obtenu avec les grubsteaks gâtés bleu marine qui valent normalement 50 points, ou avec les insectes tués hors de la toile qui rapportent normalement 25 points. Le combo se réinitialise chaque fois que le bug slayer réussit effectivement à manger une proie, ou bien entre chaque vague, ou à la perte d'une vie.
    Le bug slayer apparaît de la première à la quinzième vague. Il ne survient pas tout de suite au début d'une vague, il y a un petit délai. Comme le spoiler (qu'il peut dévorer, c'est une manière de s'en débarrasser), il est invulnérable à nos tirs, mais il peut être détruit par les explosions (comme on va le voir) - un autre bug slayer arrive alors peu après. Dès que le dernier insecte de la vague est tué, le bug slayer devient jaune ("yellow" veut aussi dire "lâche" en anglais) et essaie de fuir hors de la toile - il est vulnérable pendant ce court laps de temps, réussir à le tuer rapporte alors 1000 points.
  • Les grenadiers ("grenade bug") : les trois ennemis qu'il nous reste à étudier sont bien plus stylisés que les précédents, ressemblant à des symboles avec des ailes, et sont liés aux explosions. Ainsi, le grenadier ressemble à un obus ailé, à raison : dès qu'un tir l'atteint, le grenadier explose sous forme de cercle clignotant qui grossit, tuant tout ce qui se trouve dans le périmètre de l'explosion. Le grenadier et tout ce qui est pris dans l'explosion, grubsteaks compris quelle que soit leur valeur, rapportent 500 points par unité. Un grenadier pris dans une explosion explose lui-même, ce qui évidemment peut créer des réactions en chaîne dévastatrices. La vitesse de propagation d'une explosion est la même que celle des déplacements de notre araignée, on a donc le temps de reculer face à un grenadier explosif, même tué à bout portant.
  • Les thunderbugs : on l'a dit, "Black Widow" est structuré par vagues numérotées - chacune des vagues comporte des quantités et des types d'ennemis bien précis, qui apparaissent petit à petit depuis les bords de l'écran. Lorsque tous les insectes d'une vague sont éliminés, les grubsteaks et les œufs restants sont transférés sur la vague suivante, sauf s'il s'agit d'une vague bonus, auquel cas tout disparaît : ces vagues bonus surviennent toutes les quatre vagues (vague 4, puis 8, puis 12, etc.) et sont les seuls moments où interviennent les thunderbugs, sortes de pointes de flèche ailées qui volent en groupe à la queue leu leu. Les vagues bonus fonctionnent de façon similaire aux épreuves bonus de "Galaga" (1981) : les thunderbugs "dansent" en serpentant à l'écran, et on obtient un bonus spécial en les éliminant tous avant qu'ils ne quittent l'aire de jeu - chaque thunderbug vaut 250 points (ils meurent dans une petite explosion, il n'y a donc pas de grubsteak), et tous les éliminer rapporte un bonus de 5000 points, pour 7500 points en tout (je rappelle que par défaut, on gagne une vie tous les 20.000 points).
    Partant de là, on pourrait être tenté de mitrailler les thunderbugs dès qu'ils surviennent à l'écran, mais il faut se retenir : un thunderbug touché ne meurt pas tout de suite, il devient bleu et fonce vers notre araignée ; si on est touché, on perd une vie et la vague bonus s'arrête immédiatement. Au lieu de réagir à l'instinct, il faut observer attentivement la "danse" des thunderbugs et bien se positionner pour aligner notre tir avec leur trajectoire, et ainsi tous les éliminer à la suite en une seule rafale continue.
  • Les artilleurs ("rocket bug") : les artilleurs prennent en quelque sorte la relève du bug slayer puisqu'ils apparaissent dans le jeu à la dix-septième vague, juste après le départ du bug slayer. Ce sont aussi des prédateurs, chassant les insectes et grubsteaks avec acharnement pour les convertir au moindre contact en projectiles ressemblant à de petites copies d'eux-mêmes (des flèches blanches avec des ailes rouges), lancés vers notre araignée avec précision dans un bruit d'avion qui décolle. On peut fort heureusement neutraliser ces projectiles avec les nôtres, ce qui cause une petite explosion et rapporte surtout 1000 points ! Ce montant signifie qu'il est profitable pour le score de laisser les artilleurs chasser les insectes et grubsteaks, et se contenter de neutraliser leurs projectiles. Comme le bug slayer, les artilleurs reculent simplement lorsqu'on leur tire dessus, mais ils peuvent être détruits par l'explosion d'un grenadier (500 points). Aussitôt détruit, un artilleur est remplacé par un autre. Il peut y avoir plusieurs artilleurs lors d'une même vague. Après l'élimination du dernier insecte de la vague, les artilleurs deviennent jaunes et essaient de fuir comme le bug slayer, les tuer pendant leur fuite rapporte là aussi 1000 points.
Évidemment, cela fait beaucoup d'éléments à assimiler, mais en pratique, tout reste toujours très simple et intuitif.


C'est en fait tout le charme de "Black Widow" : comme je l'ai dit, si l'on a l'habitude des twin stick shooters, on ne sera pas dépaysé et on saura instinctivement jouer de façon convaincante, mais toutes les spécificités décrites plus haut créent autant d'opportunités qui, si on sait les saisir, permettent de pousser son score toujours plus loin...

La complexité comme intersection de simplicités

Une part importante de "Black Widow" consiste donc à identifier correctement certaines situations afin de pouvoir y réagir de façon adéquate. Afin de rendre plus concrets les principes énumérés ci-dessus, nous allons prendre quelques exemples pratiques : dans un premier cas, on prendra la pire décision (tout en restant plausible et spontanée), et dans le second cas, on prendra la meilleure, histoire de bien comparer...

Alors, supposons donc que vous soyez en fin de vague avec, en étroite proximité, un scarabée, un moustique et un frelon :
  • En tirant un peu au hasard dans le groupe, vous tuez d'abord le frelon, puis le moustique, et enfin le scarabée : comme les insectes sont proches, le scarabée aura eu le temps de manger les deux grubsteaks avant d'être tué, vous gagnez donc au mieux 500 points.
  • Vous tuez le scarabée en premier, puis le moustique. Vous attendez alors que le frelon ponde dans leurs grubsteaks, puis vous tuez le frelon et collectez son grubsteak, et enfin vous poussez les deux œufs hors de la toile : vous gagnez dans ce cas 500 + 500 + 1000 = 2000 points.
Sacrée différence !


Autre exemple, toujours en fin de vague - dans l'arène, il reste deux grubsteaks à 250 points et deux autres à 100 points, avec un frelon à l'autre bout de la toile :
  • Vous tirez sur le frelon, puis vous collectez son grubsteak ainsi que tous les autres sur le terrain : vous pouvez espérer au mieux (sans doute moins, avec le pourrissement des grubsteaks) 500 + 250 + 250 + 100 + 100 = 1200 points.
  • Vous attirez le frelon vers les grubsteaks pour qu'il y ponde, vous le tuez, collectez son grubsteak et poussez tous les œufs hors de la toile (les jaunes en premier) : vous pouvez espérer 500 + 500 + 1000 + 1500 + 2000 = 5500 points.
Là encore, la différence est loin d'être négligeable !

On pourrait reprendre le même exemple avec un grenadier au lieu du frelon : si au lieu de tuer le grenadier tout seul dans son coin, on l'attire vers les grubsteaks pour le faire exploser au milieu, on obtient alors 2500 points au lieux des 1200 points !

Encore un exemple - supposons qu'en fin de vague, deux moustiques volettent en dehors de la toile alors que le bug slayer rôde :
  • Vous tuez les deux moustiques tout de suite sans réfléchir, puis le bug slayer se sauve : ça fait 25 + 25 = 50 points.
  • Vous attendez qu'un moustique clignote (et soit donc pris pour cible par le bug slayer), vous le tuez, puis vous attendez que le second clignote, suivi du moment précis où le bug slayer foncera sur le moustique pour le dévorer - vous tentez alors de tuer le moustique pile avant qu'il soit mangé, puis le bug slayer lui-même : si vous réussissez votre coup, vous remportez 600 + 650 + 1000 = 2250 points.
Énorme écart de score !


On pourrait bien sûr continuer, notamment en évoquant les artilleurs, mais vous avez compris leur principe : leurs projectiles valent 1000 points si on les neutralise, il est donc toujours plus intéressant de laisser les artilleurs collecter puis projeter nos proies plutôt que les chasser nous-même ; c'est même plus simple puisqu'on peut ainsi toujours rester concentré sur la même cible !

Il faut ajouter à toutes ces subtilités un dernier élément qui n'a pas encore été évoqué alors qu'il saute aux yeux dans les captures d'écran : les différentes arènes.

"Black Widow" suit en effet un cycle de 12 arènes : la vague 13 a la même arène que la vague 1, la vague 14 a la même arène que la vague 2, etc. Sur ces 12 arènes, 3 sont des arènes bonus qui se ressemblent toutes (complètement vides), mais les 9 restantes présentent un level design unique, où certains segments de toile sont verts ou rouges au lieu d'être bleus. Les règles sont simples : notre araignée peut passer sans problème sur les segments verts, mais elle ne peut franchir les rouges que dans un seul sens, de l'extérieur vers l'intérieur de la toile ; les proies gèrent quant à elles les segments verts comme les rouges (dans le même sens) ; le cas des spoilers est spécial puisqu'ils peuvent détruire les segments de couleur (ça a déjà été évoqué plus haut) ; et les projectiles comme les prédateurs concurrents (le bug slayer et les artilleurs) ne tiennent absolument aucun compte des segments.

Là encore, le principe est simple à comprendre mais rajoute une nouvelle couche de richesse au gameplay : comme les ennemis viennent des bords, on a plutôt tendance à vouloir rester au centre de la toile, or, les segments verts et rouges piègent précisément les ennemis dans cette zone centrale - on doit donc fréquemment se rabattre plutôt sur la couronne, où l'on peut tirer sur les proies piégées au centre alors que l'on est protégé par les segments, mais où l'on est exposé aux nouveaux arrivants depuis les bords.

Les segments rouges nous poussent également à ajuster tout particulièrement notre gestion des œufs et des grenadiers : en effet, ces zones à "sens unique" compliquent l'expulsion des œufs et notre repli face aux explosions, sans même parler de l'esquive des projectiles lancés par les artilleurs... l'agencement des arènes affecte profondément le gameplay de chaque vague.


En plus de cela, plus on progresse de vague en vague et plus le jeu va vite, jusqu'au point où les segments de couleur deviennent indispensables à notre survie...

Un seul jeu, deux façons de jouer

La description faite ci-dessus des comportements ennemis et des règles de scoring de "Black Widow", ajoutée au constat que le gameplay y est bien moins agressif que "Robotron : 2084" par exemple si on démarre le jeu à la première vague, pourraient laisser imaginer qu'il s'agit là d'un jeu lent et méthodique, où chaque mouvement doit être soigneusement anticipé afin de maximiser son score. En pratique, ça n'est pourtant pas le cas : dès le début, les ennemis sont nombreux et convergent vers nous, les grubsteaks se gâtent vite, le bug slayer nous fait perdre régulièrement des points en mangeant nos proies, les larves grandissent rapidement dans les œufs - on n'a pas le loisir de véritablement planifier nos actions, partagé entre la nécessité de survivre et la recherche des points, que l'on équilibre en saisissant simplement les opportunités qui se présentent d'elles-mêmes. C'est d'ailleurs pour cela que les exemples exposés ci-dessus avaient tous lieu en fin de vague : lorsqu'on n'est plus débordé par l'afflux de nouveaux ennemis, planifier ses actions est bien plus facile.

De plus, le jeu va toujours plus vite et les grenadiers arrivent dès la neuvième vague, suivis des artilleurs à la dix-septième vague : vers la vingtième vague, le jeu a nettement changé de dynamique par rapport à son début - la règle générale comme quoi tirer sur les ennemis n'augmente pas directement le score devient l'exception : tirer sur les grenadiers pour tuer tous les ennemis autour et tirer constamment sur les artilleurs afin d'intercepter leurs projectiles sont deux excellents moyens de scorer tout en minimisant les risques. Quand le jeu devient frénétique, jouer en défense est vital : se cacher derrière les segments de couleur, tuer pour survivre même au détriment du score, et utiliser les grenadiers et les artilleurs pour scorer sans trop s'enquiquiner avec les combos d'œufs, devient une méthode très pertinente pour s'adapter à un gameplay qui a évolué en quelque chose d'extrêmement nerveux.


"Black Widow" offre donc deux façons de jouer, transitant lentement de l'une vers l'autre en cours de partie si l'on commence à la première vague : une où l'on doit arbitrer entre les risques et les récompenses avec un énorme potentiel de scoring additionnel si l'on sait s'y prendre, et une autre qui repose plus classiquement sur les réflexes, la coordination, l'anticipation des vagues, etc.

Étonnamment, le jeu nous incite lui-même à zapper une de ses facettes : comme dans "Tempest", non seulement on peut débuter notre partie dans une vague déjà avancée, mais le jeu nous récompense pour cela en nous offrant un bonus de score important ! C'est là un procédé astucieux : le jeu nous "corrompt" en nous offrant plus de points que l'on pourrait vraisemblablement en gagner nous-même "à la régulière", mais en échange, notre partie sera beaucoup plus courte, ce qui fait gagner plus d'argent à l'exploitant de la borne. Lorsqu'on démarre ainsi une partie en "sautant" plusieurs vagues, on n'obtient pas d'emblée le bonus promis, on doit d'abord passer une vague, après quoi un gigantesque moustique blanc avec un corps en forme de '$' débarque dans l'aire de jeu : tuer ce moustique nous octroiera immédiatement le bonus. Même si celui-ci représente plusieurs fois le montant requis pour le gain d'une vie supplémentaire, on n'en gagnera qu'une - on se retrouvera donc dans une vague parfois très avancée (un bonus d'un montant proportionnel continue d'être accordé lorsqu'on "continue" au-delà de la vague 21) avec seulement trois vies en stock au mieux, alors que démarrer le jeu depuis son tout début permet d'emmagasiner beaucoup de vies.

Malgré ce handicap, de nombreux joueurs visant un bon score à "Black Widow" préfèrent court-circuiter le début du jeu : la boucle de tentatives est alors plus rythmée, et surtout, rester toujours sur la même dynamique de jeu d'adresse au lieu de retrousser sa logique ludique en cours de partie permet de mieux rester concentré. Personnellement, je trouve ça plutôt dommage, si on joue au jeu dans ces conditions, il perd à mon avis de son intérêt.

Dans mon cas, ce que je trouve justement intéressant dans "Black Widow", c'est cette impression constante d'occasion manquée : lors de mes parties, je me dis "Mince, j'aurais dû faire ça !" sans cesse plutôt que "Hein ? Qu'est-ce qui s'est passé ?" en jouant à "Robotron : 2084", qui est un jeu que je trouve difficilement lisible.


La base simple et claire de "Black Widow" enrichie par toutes ses couches de scoring facultatives est ce qui me fait toujours revenir au jeu, il me donne envie de mieux faire, c'est un jeu qui reste encourageant alors que je trouve "Robotron : 2084" décourageant, et "Black Widow" est en vérité un de mes jeux d'arcade préférés (avec "Bank Panic", qui présente les mêmes qualités) - mais j'y joue presque toujours depuis sa première vague, je trouve les vagues très avancées trop frénétiques pour être plaisantes.

En plus de cela, comme ça a déjà été dit, le jeu est beau et parfaitement lisible (détail tout bête : comme le jeu est vectoriel, il peut tourner sans soucis les protagonistes dans la direction exacte de leurs déplacements, ça aide beaucoup à anticiper leurs actions), tous les insectes non explosifs sont très détaillés (avec les pattes et les ailes bougeant de façon convaincante), le rendu vectoriel coloré a un charme fou, l'ambiance sonore aide à bien comprendre ce qui se passe même lorsqu'on braque les yeux sur une petite portion de l'écran, les quantités de points gagnés sont explicitées par de gros chiffres qui clignotent, etc.

Les captures d'écran de cet article ont été réalisées sous MAME avec un filtre adapté au rendu vectoriel, et un léger bombage pour simuler un tube cathodique. Le format 8/7 natif du jeu a été gardé pour que les cercles soient bien ronds, que les tirs en diagonale soient bien à 45°, et que les bestioles soient aussi longues verticalement qu'horizontalement - les bornes d'arcade étant réglées en 4/3, l'image y paraît donc étirée horizontalement. L'émulation est excellente, même si des soucis de vitesse ont été signalés.

À cause de son gameplay de twin stick shooter et de son rendu vectoriel, "Black Widow" a attendu longtemps avant d'être porté sur console ou ordinateur, et il l'a toujours été dans des compilations. La dernière en date, "Atari 50 : the Anniversary Celebration", nouvelle référence des compilations rétro, émule le jeu différemment de MAME, notamment avec des effets visuels et sonores que l'émulateur gratuit n'arrive pas (encore) à reproduire, et constitue donc une bonne valeur ajoutée.


On peut lire un peu partout que le record mondial "maximum" à "Black Widow" aurait été obtenu en 1984 par James Vollandt avec 930.100 points, mais c'est faux. Si James Vollandt, qui est également détenteur du record d'autres bornes d'arcade Atari, a en effet réalisé ce score, ce n'est pas un score "maximum" : Vollandt a certes atteint la vague 104 qui fait "planter" la machine, mais il est techniquement possible de marquer plus de points avant ce "kill screen", et son record est suspect puisque des analyses indiquent que ce dernier a vraisemblablement été décroché en "continuant" le jeu.

1 commentaire

Dredd_Lbkc a dit…

A noter qu'un Black Widow Recharged est sorti en 2021. Il propose, outre le mode original avec de nouveaux graphismes et musiques, un mode Recharged, qui ajoute des Power-ups, et un mode Defi.