lundi 3 avril 2023

Gridrunner Revolution (Steam) Llamasoft

Jeff Minter est une légende du jeu vidéo dont la vision (en deux mots, l'arcade hallucinatoire) est restée admirablement constante depuis 1982, mais la fin du petit monde des micro-ordinateurs 8-bit et 16-bit lui fut rude - entre le triomphe de "Tempest 2000" en 1994 et le coup de génie marketing de "Polybius" en 2016, les désillusions l'ont éloigné des principaux réseaux de distribution : l'excellent accueil de "Tempest 2000" fut étranglé par le cinglant échec de l'Atari Jaguar, puis Atari crut pertinent de trahir Minter en chargeant High Voltage Software de réaliser un portage du jeu sur PlayStation avec la consigne de le modifier juste assez pour ne pas verser de royalties au développeur ; six ans plus tard, il travaillerait néanmoins de nouveau avec Atari pour sortir l'hypnotique "Tempest 3000" sur le lecteur multimédia Nuon au tournant de l'an 2000, mais la machine allait s'avérer encore plus confidentielle que la Jaguar (neuf jeux) ; le développeur allait ensuite être présent en 2007 sur la populaire Xbox 360 lors de l'avènement de la vente de jeux par téléchargement sur consoles, mais "Space Giraffe" (qu'il considère encore comme son meilleur jeu) n'a pas été bien reçu (trop décalé, pas assez lisible) et Minter n'a donc pas profité du spectaculaire décollage du jeu indépendant lors de ces années-là (alors qu'il en est un pionnier) ; et enfin, son accord avec Sony pour sortir "TxK" sur Vita en 2014 fut stoppé net par une plainte d'Atari contre lui, le jeu étant clairement une suite de "Tempest 2000" dont la compagnie détenait juridiquement les droits...


Bref : frustré par les contrats, les trahisons, les déceptions et les délais, Jeff Minter s'est réfugié au début des années 2010 sur iOS (le service des portables Apple) pour retrouver la logique des vieux micro-ordinateurs et laisser libre cours à ses expérimentations, sans avoir de compte à rendre à quiconque et sans dépendre de la popularité d'un système. Au début de cette période, il a aussi développé pour PC et publié sur Steam un portage de "Space Giraffe" (2008), ainsi que l'étrange "Gridrunner Revolution" (2009) dont je vais maintenant parler ici : placé à un pivot dans la carrière du développeur, le jeu est peut-être une expérience encore plus bizarre que "Space Giraffe" - il s'agit en effet d'un jeu de tir sans bouton de tir, où perdre une vie n'est pas forcément grave (en tout cas moins que rater la collecte d'un mouton), et où l'on doit idéalement très peu bouger son vaisseau ! C'est un bon jeu à scores, beaucoup plus accessible et relaxant qu'il n'en a l'air, mais c'est surtout son dédain pour les conventions qui le rend fascinant...

samedi 4 mars 2023

satryn deluxe (Steam, itch.io) maybell

Certains jeux sont difficiles à introduire correctement, exigeant pour leur rendre pleinement justice de rappeler un certain contexte, retracer un certain historique, détailler certaines affiliations, expliciter une certaine vision, etc. ; mais d'autres sont en revanche très simples : dans le cas de "satryn deluxe", il s'agit tout bonnement d'un clone de "Robotron : 2084" comme il y en a eu beaucoup depuis 1982, mais ce jeu indépendant sorti près de quarante ans (!) plus tard se distingue en restant très fidèle à la borne originale, avec des bases et des sensations gardées intactes, tout en offrant cependant un rythme, une variété, un confort, etc. plaisamment modernisés, au point où l'on peut y avoir l'impression de jouer à "Robotron : 2084" en mieux - ce qui n'est tout de même pas rien !


Ainsi, "satryn deluxe" est un twin stick shooter où notre héros peut bouger et tirer indépendamment dans huit directions (et rien de plus, il n'y a pas dans ses contrôles de bombe ou d'esquive ou de tir secondaire ou quoi que ce soit) alors qu'il traverse une suite apparemment infinie d'arènes rectangulaires identiques tenant en entier à l'écran, où l'objectif est de sauver de petits personnages face à un assortiment bigarré d'ennemis qu'il faudra entièrement exterminer pour passer à l'arène suivante.
Comme on l'a dit, il n'y a pas de level design propre aux arènes en dehors de mines clignotantes dispersées ici et là, les différentes combinaisons adverses sont donc l'élément principal distinguant chaque niveau. Les types ennemis ont tous de fortes particularités (comportement, endurance, dangerosité, etc.) et leurs effectifs et leur nature changent donc le problème posé : où viser en premier, faut-il d'abord sauver les petits personnages alliés ou attaquer les adversaires, comment bien se positionner et esquiver la horde et ses projectiles - tout cela constitue un gameplay assez riche grâce à la combinatoire, même si la base ludique reste simple et si le nombre de types ennemis distincts est plutôt modeste (huit dans "Robotron : 2084" et le double dans "satryn deluxe").
Dans les deux cas, il s'agit d'un jeu à scores, on dispose de trois vies (on peut en gagner en cours de route) sans barre d'énergie, avec des parties relativement courtes, la motivation étant de sans cesse améliorer ses performances. Sur un plan artistique, l'un comme l'autre jeu n'a pas de musique mais présente des effets sonores typiquement "arcade" à la fois utiles et excitants, et leurs graphismes sont très vifs, avec quelques effets psychédéliques renforçant les sensations de surcharge procurées par le gameplay.

Ça fait beaucoup de points communs, ce qui est loin d'être une mauvaise chose puisque "Robotron : 2084" n'est pas un classique simplement pour son aspect historique, il est avant tout resté un jeu extrêmement amusant... néanmoins inféodé à son contexte !

dimanche 29 janvier 2023

Antecrypt (Steam, itch.io) PUNKCAKE Délicieux

"Antecrypt" est un jeu exemplaire, qui représente bien sa petite compagnie PUNKCAKE Délicieux et le mouvement néo-rétro en général. Composée de Benjamin Soulé (co-fondateur de Motion Twin) et Rémy Devaux (sorti prématurément d'école de jeu vidéo), deux Français habitant en Aquitaine près de Bordeaux, avec à l'occasion la participation du compositeur espagnol Pentadrangle, la compagnie a en fait commencé avec "Antecrypt" qui est son tout premier jeu, sorti le 10 juin 2021 sur le magasin itch.io puis porté sur Steam deux ans plus tard.

Avant cela, le duo avait beaucoup programmé chacun de son côté sur PICO-8, une console virtuelle en basse résolution n'existant qu'en émulation et très prisée par les développeurs indépendants. Comme un certain nombre d'autres jeux PUNKCAKE Délicieux, "Antecrypt" est d'ailleurs une relecture d'un jeu PICO-8 d'un de leurs auteurs, "Mr. Beam" de Benjamin Soulé publié en mai 2015 et conçu lors d'une "game jam" (concours de programmation rapide) - créer un jeu complet à partir d'un prototype de "game jam" est plutôt habituel pour la compagnie.


PUNKCAKE Délicieux repose sur trois piliers : le moteur de jeu "SUGAR" développé par Rémy Devaux depuis 2018 ; un modèle économique original proposant un abonnement où chaque nouveau jeu coûte 3€ (deux fois moins que leur prix individuel) ; et une philosophie de game design qui matérialise exactement l'esprit de la vague rétro de 2010 tel que je l'avais compris et défini dans l'article sur le sujet publié ici en février 2020...

mardi 20 décembre 2022

Thanatos (ZX Spectrum) Durell Software

Qu'on l'aime, qu'on le déteste, qu'il nous indiffère ou qu'on ignore son existence, "Shadow of the Beast" sorti en 1989 sur Amiga aura su s'imposer dans l'histoire du jeu vidéo, jusqu'à avoir bénéficié d'un remake sur PlayStation 4 en 2016. On pourrait pourtant reprocher beaucoup de choses au jeu, simple démo technique sur laquelle a été greffé le gameplay de "Kung-Fu Master" en plus rigide, avec une épaisse couche de "Dragon's Lair" par-dessus. Moi-même, qui ai gagné le jeu à la régulière (!) adolescent, je n'en garde pas une très haute opinion en tant que jeu, mon acharnement tenant plus à mes troubles compulsifs d'alors qu'aux qualités ludiques du titre phare de Psygnosis...

La postérité est parfois injuste - en 1986, trois années avant la sortie de "Shadow of the Beast", sortait sur ZX Spectrum un jeu qui présentait toutes les qualités du jeu Amiga sans la plupart de ses défauts, avec de surcroît certaines innovations audacieuses tant sur le plan ludique qu'immersif : je veux parler de "Thanatos" de Durell Software, qui est malheureusement beaucoup moins resté dans les mémoires en dépit d'un certain succès rencontré sur les ordinateurs 8-bit.


"Thanatos" a de nombreux points communs avec "Shadow of the Beast" : c'est en premier lieu une incroyable prouesse technique, mise au service d'un sens artistique impressionnant, qui lui-même ébauche un univers à la fois cohérent, mystérieux et envoûtant dans lequel on a plaisir à évoluer, chose encore assez rare à l'époque. C'est aussi un jeu assez sombre, qui nous propose de jouer un monstre effrayant, chose également plutôt inhabituelle dans le contexte d'alors. Enfin, il faut bien le reconnaître, le gameplay de chacun des deux jeux n'est pas forcément exaltant ; mais sur ce point comme le précédent, j'espère réussir à vous convaincre que "Thanatos" s'en sort plutôt mieux que son concurrent sur Amiga...

dimanche 27 novembre 2022

Vampire Vengeance (ZX Spectrum) Ariel Endaraues

Le jeu vidéo a toujours été un art immersif : déjà en 1979, "Adventure" parvenait à captiver les joueurs sur Atari 2600 malgré des moyens techniques très sommaires - même si on devait alors puiser copieusement dans son imagination, on attendait déjà du jeu vidéo qu'il nous permette de nous évader en plus de nous amuser : pouvoir visiter de vastes paysages exotiques, être confronté à des créatures étranges, effectuer des actions impossibles dans la vraie vie, et... incarner quelqu'un d'autre !

Comme la littérature ou le cinéma, le jeu vidéo nous projette en effet dans la peau d'un personnage, et il le fait avec une efficacité particulière puisqu'on contrôle ici ledit personnage à l'écran ! Très naturellement, les jeux ont plutôt choisi de nous faire jouer des personnages positifs, des héros archétypiques que les enfants rêvent d'être un jour : de vaillants chevaliers, de courageux soldats, d'impétueux pilotes, d'héroïques pompiers, etc. Ils ont aussi pu nous amuser en nous faisant jouer un chat, une souris, une toupie, une citrouille ou une grenouille.

Assez rapidement, cependant, est arrivée la tentation de nous faire jouer un personnage négatif, et pourquoi pas un monstre. Bien sûr, lorsque le jeu vidéo était un média récent surtout destiné aux enfants, cette tentation a rencontré de fortes réticences : incarner un monstre et effectuer des actions répréhensibles n'allait-il pas influencer négativement la psychologie des joueurs ? Alors que le jeu vidéo s'est démocratisé et banalisé, cependant, ces réticences se sont dissipées, et on a pu incarner librement qui on voulait.

Et tant qu'à jouer un monstre, quoi de mieux qu'un vampire ?


Le vampire est en effet un choix idéal de monstre à incarner : sur le plan immersif, celui-ci bénéficie d'un certain prestige et d'une certaine prestance (bien plus qu'un zombie, par exemple), et il peut se prêter facilement à un cadre ou un ton au choix romantique, horrifique ou tragique. Sur le plan ludique, le vampire est aussi très intéressant : il est endurant mais vulnérable à des choses bien spécifiques, il doit attaquer au contact mais craint certaines armes de lancer (pieux projetés ou jet d'eau bénite), il chasse plutôt à l'affût pour se nourrir mais est lui-même chassé en meute, et bien sûr, il peut se transformer en diverses choses voire même voler : simplement énumérer ses caractéristiques semble dicter le gameplay d'un jeu à lui tout seul !

Si de nombreux jeux vidéo ont pu mettre en scène un vampire, cependant, peu ont véritablement su transcrire sa nature spécifique en contenu ludique : soit l'aspect immersif du jeu est en-deça, soit son gameplay...

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