lundi 6 novembre 2023

Art Style - CUBELLO (WiiWare) Nintendo/skip Ltd.

La Game Boy Advance n'a pas la réputation d'une console propice aux jeux artistiques ou expérimentaux comme la PSP de Sony par exemple ; la console de Nintendo a plutôt laissé l'image d'une "SNES portable" généreuse en jeux légers et colorés idéalement adaptés aux enfants et aux adolescents, image que cultivait plus globalement Nintendo en privilégiant des univers familiaux et des mécaniques de gameplay traditionnelles.
Pourtant, en juillet 2006, alors que la GBA était en fin de cycle avec une Nintendo DS déjà populaire depuis plus d'un an, Nintendo sortit au Japon sept jeux d'une nouvelle mini-série baptisée "bit Generations", dont l'idée était de revenir aux bases du jeu vidéo (avant même la NES) afin d'innover de façon surprenante, le tout dans des ambiances abstraites à l'esthétique très travaillée mais dépouillée, bien loin des Mario, Kirby, Link ou Samus Aran. Parmi ces jeux, il y avait notamment une variante de "Pong", un jeu de course s'inspirant de "Tron", et même un jeu jouable sans écran, "Soundvoyager", qui exploitait le son stéréo de la GBA et qu'un aveugle aurait donc pu jouer !


Cette mini-série, même si elle allait directement inspirer l'hexalogie des "Bit. Trip" (du propre aveux d'Alex Neuse, le fondateur de Gaijin Games), n'est hélas jamais sortie du Japon et est restée confidentielle ; mais Nintendo a profité de l'installation de magasins dématérialisés sur Nintendo Wii puis Nintendo DSi en 2008 pour prolonger et amplifier ce coup d'essai, sans doute à destination du public plus âgé séduit par le touch screen de la Nintendo DS et par l'épure de la Wiimote. Ce nouveau label renommé "Art Style" reprenait la même ligne générale voire les mêmes jeux déjà sortis sur GBA, mais sous une forme plus poussée et plus ambitieuse, s'inscrivant dans un mouvement plus large que l'on retrouverait sur PSP comme déjà évoqué ("Echochrome" par exemple) mais aussi sur smartphone, et surtout dans le jeu indépendant.
Comme les jeux "bit Generations", le développement de la gamme "Art Style" était assuré par skip Ltd. (auteur de "Chibi-Robo!" sorti sur GameCube en 2006 en Europe) et par Q-Games pour un titre. Couvrant des styles de gameplay très différents, ces jeux étaient unis par leur pureté ludique et visuelle et leur ambiance sonore interactive voire hypnotique, et présentaient pour la plupart une certaine excentricité. En tout, cinq jeux sortirent sur WiiWare et sept sur DSiWare entre 2008 et 2010, tous intéressants sur le fond ou la forme, pour une réception publique et critique plutôt positive.

Parmi ces jeux, certains me semblent particulièrement marquants, dont "Art Style : CUBELLO" de skip Ltd. sur Nintendo Wii.

lundi 3 avril 2023

Gridrunner Revolution (Steam) Llamasoft

Jeff Minter est une légende du jeu vidéo dont la vision (en deux mots, l'arcade hallucinatoire) est restée admirablement constante depuis 1982, mais la fin du petit monde des micro-ordinateurs 8-bit et 16-bit lui fut rude - entre le triomphe de "Tempest 2000" en 1994 et le coup de génie marketing de "Polybius" en 2016, les désillusions l'ont éloigné des principaux réseaux de distribution : l'excellent accueil de "Tempest 2000" fut étranglé par le cinglant échec de l'Atari Jaguar, puis Atari crut pertinent de trahir Minter en chargeant High Voltage Software de réaliser un portage du jeu sur PlayStation avec la consigne de le modifier juste assez pour ne pas verser de royalties au développeur ; six ans plus tard, il travaillerait néanmoins de nouveau avec Atari pour sortir l'hypnotique "Tempest 3000" sur le lecteur multimédia Nuon au tournant de l'an 2000, mais la machine allait s'avérer encore plus confidentielle que la Jaguar (neuf jeux) ; le développeur allait ensuite être présent en 2007 sur la populaire Xbox 360 lors de l'avènement de la vente de jeux par téléchargement sur consoles, mais "Space Giraffe" (qu'il considère encore comme son meilleur jeu) n'a pas été bien reçu (trop décalé, pas assez lisible) et Minter n'a donc pas profité du spectaculaire décollage du jeu indépendant lors de ces années-là (alors qu'il en est un pionnier) ; et enfin, son accord avec Sony pour sortir "TxK" sur Vita en 2014 fut stoppé net par une plainte d'Atari contre lui, le jeu étant clairement une suite de "Tempest 2000" dont la compagnie détenait juridiquement les droits...


Bref : frustré par les contrats, les trahisons, les déceptions et les délais, Jeff Minter s'est réfugié au début des années 2010 sur iOS (le service des portables Apple) pour retrouver la logique des vieux micro-ordinateurs et laisser libre cours à ses expérimentations, sans avoir de compte à rendre à quiconque et sans dépendre de la popularité d'un système. Au début de cette période, il a aussi développé pour PC et publié sur Steam un portage de "Space Giraffe" (2008), ainsi que l'étrange "Gridrunner Revolution" (2009) dont je vais maintenant parler ici : placé à un pivot dans la carrière du développeur, le jeu est peut-être une expérience encore plus bizarre que "Space Giraffe" - il s'agit en effet d'un jeu de tir sans bouton de tir, où perdre une vie n'est pas forcément grave (en tout cas moins que rater la collecte d'un mouton), et où l'on doit idéalement très peu bouger son vaisseau ! C'est un bon jeu à scores, beaucoup plus accessible et relaxant qu'il n'en a l'air, mais c'est surtout son dédain pour les conventions qui le rend fascinant...

samedi 4 mars 2023

satryn deluxe (Steam, itch.io) maybell

Certains jeux sont difficiles à introduire correctement, exigeant pour leur rendre pleinement justice de rappeler un certain contexte, retracer un certain historique, détailler certaines affiliations, expliciter une certaine vision, etc. ; mais d'autres sont en revanche très simples : dans le cas de "satryn deluxe", il s'agit tout bonnement d'un clone de "Robotron : 2084" comme il y en a eu beaucoup depuis 1982, mais ce jeu indépendant sorti près de quarante ans (!) plus tard se distingue en restant très fidèle à la borne originale, avec des bases et des sensations gardées intactes, tout en offrant cependant un rythme, une variété, un confort, etc. plaisamment modernisés, au point où l'on peut y avoir l'impression de jouer à "Robotron : 2084" en mieux - ce qui n'est tout de même pas rien !


Ainsi, "satryn deluxe" est un twin stick shooter où notre héros peut bouger et tirer indépendamment dans huit directions (et rien de plus, il n'y a pas dans ses contrôles de bombe ou d'esquive ou de tir secondaire ou quoi que ce soit) alors qu'il traverse une suite apparemment infinie d'arènes rectangulaires identiques tenant en entier à l'écran, où l'objectif est de sauver de petits personnages face à un assortiment bigarré d'ennemis qu'il faudra entièrement exterminer pour passer à l'arène suivante.
Comme on l'a dit, il n'y a pas de level design propre aux arènes en dehors de mines clignotantes dispersées ici et là, les différentes combinaisons adverses sont donc l'élément principal distinguant chaque niveau. Les types ennemis ont tous de fortes particularités (comportement, endurance, dangerosité, etc.) et leurs effectifs et leur nature changent donc le problème posé : où viser en premier, faut-il d'abord sauver les petits personnages alliés ou attaquer les adversaires, comment bien se positionner et esquiver la horde et ses projectiles - tout cela constitue un gameplay assez riche grâce à la combinatoire, même si la base ludique reste simple et si le nombre de types ennemis distincts est plutôt modeste (huit dans "Robotron : 2084" et le double dans "satryn deluxe").
Dans les deux cas, il s'agit d'un jeu à scores, on dispose de trois vies (on peut en gagner en cours de route) sans barre d'énergie, avec des parties relativement courtes, la motivation étant de sans cesse améliorer ses performances. Sur un plan artistique, l'un comme l'autre jeu n'a pas de musique mais présente des effets sonores typiquement "arcade" à la fois utiles et excitants, et leurs graphismes sont très vifs, avec quelques effets psychédéliques renforçant les sensations de surcharge procurées par le gameplay.

Ça fait beaucoup de points communs, ce qui est loin d'être une mauvaise chose puisque "Robotron : 2084" n'est pas un classique simplement pour son aspect historique, il est avant tout resté un jeu extrêmement amusant... néanmoins inféodé à son contexte !

dimanche 29 janvier 2023

Antecrypt (Steam, itch.io) PUNKCAKE Délicieux

"Antecrypt" est un jeu exemplaire, qui représente bien sa petite compagnie PUNKCAKE Délicieux et le mouvement néo-rétro en général. Composée de Benjamin Soulé (co-fondateur de Motion Twin) et Rémy Devaux (sorti prématurément d'école de jeu vidéo), deux Français habitant en Aquitaine près de Bordeaux, avec à l'occasion la participation du compositeur espagnol Pentadrangle, la compagnie a en fait commencé avec "Antecrypt" qui est son tout premier jeu, sorti le 10 juin 2021 sur le magasin itch.io puis porté sur Steam deux ans plus tard.

Avant cela, le duo avait beaucoup programmé chacun de son côté sur PICO-8, une console virtuelle en basse résolution n'existant qu'en émulation et très prisée par les développeurs indépendants. Comme un certain nombre d'autres jeux PUNKCAKE Délicieux, "Antecrypt" est d'ailleurs une relecture d'un jeu PICO-8 d'un de leurs auteurs, "Mr. Beam" de Benjamin Soulé publié en mai 2015 et conçu lors d'une "game jam" (concours de programmation rapide) - créer un jeu complet à partir d'un prototype de "game jam" est plutôt habituel pour la compagnie.


PUNKCAKE Délicieux repose sur trois piliers : le moteur de jeu "SUGAR" développé par Rémy Devaux depuis 2018 ; un modèle économique original proposant un abonnement où chaque nouveau jeu coûte 3€ (deux fois moins que leur prix individuel) ; et une philosophie de game design qui matérialise exactement l'esprit de la vague rétro de 2010 tel que je l'avais compris et défini dans l'article sur le sujet publié ici en février 2020...

mardi 20 décembre 2022

Thanatos (ZX Spectrum) Durell Software

Qu'on l'aime, qu'on le déteste, qu'il nous indiffère ou qu'on ignore son existence, "Shadow of the Beast" sorti en 1989 sur Amiga aura su s'imposer dans l'histoire du jeu vidéo, jusqu'à avoir bénéficié d'un remake sur PlayStation 4 en 2016. On pourrait pourtant reprocher beaucoup de choses au jeu, simple démo technique sur laquelle a été greffé le gameplay de "Kung-Fu Master" en plus rigide, avec une épaisse couche de "Dragon's Lair" par-dessus. Moi-même, qui ai gagné le jeu à la régulière (!) adolescent, je n'en garde pas une très haute opinion en tant que jeu, mon acharnement tenant plus à mes troubles compulsifs d'alors qu'aux qualités ludiques du titre phare de Psygnosis...

La postérité est parfois injuste - en 1986, trois années avant la sortie de "Shadow of the Beast", sortait sur ZX Spectrum un jeu qui présentait toutes les qualités du jeu Amiga sans la plupart de ses défauts, avec de surcroît certaines innovations audacieuses tant sur le plan ludique qu'immersif : je veux parler de "Thanatos" de Durell Software, qui est malheureusement beaucoup moins resté dans les mémoires en dépit d'un certain succès rencontré sur les ordinateurs 8-bit.


"Thanatos" a de nombreux points communs avec "Shadow of the Beast" : c'est en premier lieu une incroyable prouesse technique, mise au service d'un sens artistique impressionnant, qui lui-même ébauche un univers à la fois cohérent, mystérieux et envoûtant dans lequel on a plaisir à évoluer, chose encore assez rare à l'époque. C'est aussi un jeu assez sombre, qui nous propose de jouer un monstre effrayant, chose également plutôt inhabituelle dans le contexte d'alors. Enfin, il faut bien le reconnaître, le gameplay de chacun des deux jeux n'est pas forcément exaltant ; mais sur ce point comme le précédent, j'espère réussir à vous convaincre que "Thanatos" s'en sort plutôt mieux que son concurrent sur Amiga...

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