mercredi 30 mars 2011

Art Style - INTERSECT (DSiWare) Nintendo/Q-Games

On entend parfois que les jeux narratifs avec un gros budget, des cinématiques, des dialogues parlés etc. seraient les "vrais" jeux auxquels on se consacrerait "vraiment" ; alors que les jeux téléchargeables, ou à scores, ou tout simplement épurés seraient des "diversions", auxquelles on jouerait pour se détendre entre deux "vrais" jeux.

Or, il se trouve que j'ai la position inverse : je viens de boucler "The Saboteur" sur Xbox 360, et bien que je me sois amusé, je me dis maintenant "passons aux choses sérieuses" avant de me livrer pleinement à "Punch-Out!!" sur Wii, à "Pac-Man CE DX" sur le Xbox Live Arcade, à "Nebulus" sur la Console Virtuelle de la Wii, et à "Art Style : INTERSECT" sur DSiWare.


Cela ne signifie pas que je vois tous les jeux narratifs comme des passe-temps - beaucoup apportent quelque chose d'unique, une structure exigeante, un discours original ou bien un univers intéressant : "Dead Rising", par exemple, est à mon avis un très grand jeu, tant dans ses mécaniques ludiques que dans son contenu narratif ; même "Silent Hill : Shattered Memories", qui est un jeu presque purement narratif et dont le gameplay est franchement bancal, fait des choses tellement révolutionnaires dans le domaine du jeu d'aventure qu'il en devient bien plus qu'un divertissement.

"The Saboteur", en revanche, est un pur passe-temps, sa vocation est de divertir sans jamais exiger grand-chose : si on y est tué pendant une mission de sabotage, on revient sur place directement avec une santé et des armes rétablies alors que ce que l'on a détruit reste détruit ; on peut changer le niveau de difficulté en pleine partie ; on dispose de moyens invraisemblables pour remplir ses missions de façon outrageusement radicale ; etc. La narration est immature, cliché et anachronique. Mais rien de tout cela ne contrarie l'expérience, pour moi du même genre que celle de "God of War" ou "Bionic Commando" (2009) ou "Gears of War" : ce sont des jeux auxquels on joue distraitement, comme on regarde certains films d'action, sans se poser de question, sans se forcer.

On ne peut pas jouer à "Art Style : INTERSECT" distraitement ou sans se forcer.

"Art Style : INTERSECT" est une adaptation de "Digidrive" sur Game Boy Advance, qui faisait partie de la série "bit Generations". Cette série de jeux épurés, originaux et artistiques a été portée et perpétuée par la série "Art Style" sur WiiWare et DSiWare. Il est traditionnel pour ces deux séries d'avoir une apparence très simple mais un gameplay bien plus retors, et "Art Style : INTERSECT" pousse cette tendance jusqu'à l'absurde : le jeu a l'air à première vue basique, presque du niveau d'un "Game & Watch", mais en réalité son gameplay est complexe, subtil, exigeant, et surtout incroyablement prenant et original.


L'objectif semble donc d'abord élémentaire : on se trouve à un carrefour où des véhicules colorés stylisés (trois couleurs possibles) arrivent, que l'on peut aiguiller avec la croix directionnelle (une option "touch screen" existe mais n'est pas appropriée). Au départ, les sorties sont incolores, mais si on y "stocke" cinq véhicules de la même couleur à la suite, elles prennent la couleur en question, et créent un réservoir de carburant alimenté par les véhicules de cette même couleur (ci-dessus, on peut constater que la sortie de gauche est noire, celle du bas est blanche, celle de droite est rouge, et celle du dessus reste incolore).

On se dit alors que le jeu consiste bêtement à rediriger les véhicules vers les bons réservoirs, mais "Art Style : INTERSECT" se révèle être d'un genre totalement différent et assez unique : sur le fond, c'est un jeu de pari d'une grande richesse.

En effet, "se tromper" en envoyant un véhicule de la "mauvaise" couleur sur un réservoir a des conséquences très différentes selon le nombre total de réservoirs : si l'on n'en a qu'un, le réservoir sur lequel on s'est "trompé" disparaît tout simplement ainsi que tout son carburant, si l'on en a deux, le réservoir disparaît mais son carburant est transféré sur celui de l'autre réservoir, et si l'on en a trois, le réservoir disparaît mais son carburant est doublé car ajouté à chacun des deux autres réservoirs. Faire une "erreur" peut donc rapporter énormément de carburant, mais il faut le faire au bon moment et au bon endroit.
Avoir quatre réservoirs est un cas spécial, qui demande une certaine chance puisqu'il y a quatre sorties et trois couleurs, il y a donc des situations où l'on est contraint d'envoyer un véhicule vers une "mauvaise" sortie. Si l'on y parvient malgré tout, on bascule en overdrive : les véhicules y arrivent toujours de façon à ce que l'on puisse les rediriger correctement, et chaque véhicule produit des quantités bien plus importantes de carburant ; le jeu devient en revanche très rapide, avec une vitesse qui augmente sans cesse. Quand finalement on commet une erreur (ce qui ne met pas longtemps à arriver vu la vitesse que l'on peut atteindre), le contenu du réservoir sur lequel on s'est trompé est mis à feu.


En effet, l'utilité du carburant est d'être mis à feu de temps à autre pour éloigner un noyau d'une pointe, tous deux situés sur l'autre écran de la Nintendo DS. Cette mise à feu se fait donc en sortant du mode overdrive, mais surtout dans le cours du jeu normal, en dirigeant un véhicule spécial vers le réservoir à consumer. Ce véhicule spécial arrive spontanément régulièrement, mais on peut aussi en stocker des unités en faisant monter le noyau ; on peut alors faire entrer une unité stockée dans le carrefour quand on le souhaite, simplement en appuyant sur un bouton.
Plus on met du carburant à feu, plus on élève le noyau (c'est ainsi qu'est mesuré le score, par la hauteur du noyau), sachant que la pointe s'en rapproche lentement (si elle le touche, Game Over). Si on ajoute à cela le fait que les sorties colorées pâlissent avec le temps (et ce d'autant plus vite que leur réservoir contient de carburant) et qu'on les "rallume" en y faisant passer un véhicule de la bonne couleur, mais que si on ne le fait pas à temps on perd tout le réservoir associé, et que, bien sûr, le jeu va toujours plus vite... on comprend que "Art Style : INTERSECT" est le genre de jeu qui donne des émotions fortes.

Les mécaniques du jeu sont donc très originales (je ne connais rien d'approchant), et une fois qu'on les a bien comprises et qu'on apprend à les maîtriser, on a droit à des taux d'adrénaline en montagnes russes. Réussir à atteindre des quantités de carburant incroyables mais en ayant d'autant plus de chances de les perdre est grisant : doit-on "rejouer" ce carburant et jongler avec dans la perspective de faire progresser sa mise exponentiellement, ou doit-on "l'encaisser" en le mettant à feu pour se mettre à l'abri d'une erreur qui pourrait tout nous faire perdre ?

"Art Style : INTERSECT" donne ainsi les sensations d'une partie de poker de haute voltige, mais en nous laissant un contrôle quasi complet sur les stratégies à suivre et sur l'exécution, basée quant à elle sur les réflexes. Doit-on s'obstiner à essayer de générer un overdrive qui pourrait être bien long à venir (sachant que pendant ce temps la pointe se rapproche du noyau), ou successivement doubler sa mise en privilégiant le transfert d'un réservoir sur les deux autres en jonglant sur trois réservoirs ? Doit-on attendre la dernière minute pour transférer le carburant d'une sortie qui pâlit dangereusement, ou transférer plus souvent les réservoirs pour être sûr de ne pas les perdre ? On est sans cesse tiraillé entre l'envie de risquer gros pour gagner gros et la prudence, sachant que la prudence peut tout nous faire perdre si on traîne trop et qu'on laisse la pointe rejoindre le noyau.


Le génie de "Art Style : INTERSECT" est donc de nous donner les émotions d'un jeu de hasard avec les règles d'un jeu de puzzles et la simplicité de contrôle et la lisibilité d'un "Game & Watch". Quand on perd, c'est forcément de notre faute, et en plus de ça on a toujours l'impression que c'est une erreur stupide. C'est important car cela colle aux principes d'addiction que Shigeru Miyamoto a exposés dans un "Iwata demande" (la fameuse série d'interviews interne à Nintendo) sur "New Super Mario Bros. Wii" :
Iwata : Vous vouliez comprendre ce qui poussait les joueurs à insérer une autre pièce dans la machine pour retenter leur chance une fois la partie terminée ?

Miyamoto : Absolument. Et en fait, j'en ai conclu que tout cela venait du fait que les joueurs s'en voulaient. [...] Un jeu divertissant devrait toujours être simple à comprendre, vous devez comprendre ce qu'il faut faire directement au premier coup d'œil. [...] Ainsi, si vous n'y arrivez pas, vous vous en voulez à vous-même plutôt qu'au jeu. [...] Disons par exemple qu'une des actions du jeu est facile à faire pour le joueur. On y ajoute ensuite une autre action facile. Ces actions sont peut-être faciles en soi, mais lorsque le joueur doit effectuer les deux en même temps, ça devient bien plus compliqué.
"Art Style : INTERSECT" suit ces principes, pas dans le sens où il est facile à comprendre du premier coup d'œil (il est au contraire très déroutant malgré ses apparences simples), mais dans le sens où sa mécanique de base est tellement évidente que lorsqu'on commet une erreur, on s'en veut malgré la complexité effective de l'action, et on recommence alors aussitôt car on est sûr que l'on fera mieux la fois suivante. "Art Style : INTERSECT", en plus d'avoir une construction prodigieuse et de donner des sueurs froides, est donc terriblement addictif.

Sur le plan de la présentation et du contenu, "Art Style : INTERSECT" est dans la lignée de la gamme "Art Style" en général : très lisible, épuré, avec un style visuel évoquant une œuvre d'art moderne, et une musique interactive du meilleur goût. Le jeu s'articule principalement autour du mode infini, mais a également un mode deux joueurs (chacun sur sa console) qui comprend un combat contre le CPU. Chaque mode contre la machine a plusieurs niveaux de difficulté, avec des médailles à obtenir correspondant à certains scores, l'or débloquant des options supplémentaires : des habillages de couleurs pas toujours très beaux (il faut le dire) et des musiques alternatives, quant à elles toutes réussies.


Malheureusement, comme d'habitude, les scores sont purement locaux, et on ne peut même pas entrer ses initiales. Que l'on n'ait pas accès à des scores amis, c'est une limitation de la Wii et de la Nintendo DS, mais le jeu pourrait tout de même proposer un classement en ligne, ou au moins un classement local avec différents noms d'utilisateur. C'est vraiment dommage pour un jeu dont les mécaniques de scoring sont aussi bonnes. Mais mettons les choses en perspective : en ce qui me concerne, le jeu est meilleur que tous les jeux avec des blocs qui tombent ou des formes à la "Tetris" auxquels j'ai joué.
Collant parfaitement au format portable, très original, extrêmement prenant, avec des mécaniques de scoring spectaculairement huilées, "Art Style : INTERSECT" est indispensable, que ce soit sur Nintendo DSi ou Nintendo 3DS... ou sur Game Boy Advance !

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