mardi 9 septembre 2014

Luigi's Mansion 2 (3DS) Nintendo/Next Level Games

"Epic Mickey" sur Wii, sans être un naufrage, n'était pas un bon jeu, ses bonnes intentions étaient de loin ses meilleures qualités ; mais en ce qui me concerne il aura atteint le véritable objectif que Warren Spector lui avait fixé : il m'aura intéressé aux origines de Mickey Mouse, jusqu'à me faire acheter la collection complète de ses courts métrages en noir et blanc (deux coffrets DVD).

On a beaucoup critiqué le moralisme des dessins animés de Disney du temps où Walt Disney lui-même dirigeait l'entreprise, mais j'argumenterais plutôt l'inverse : il me semble que cette époque était justement celle où l'animation était la plus pure, Walt Disney aimant d'abord l'animation pour elle-même, avec le rêve qu'elle soit un jour considérée comme une forme artistique à part entière, indépendamment de tout propos. C'est d'ailleurs ce qui a motivé l'insolent projet de "Fantasia" : en rapprochant l'animation d'une forme artistique reconnue, à savoir la musique classique, Walt Disney pensait assez naïvement que le dessin animé serait lui aussi reconnu comme un art. Cela ne s'est alors pas produit et "Fantasia" lui a fait perdre énormément d'argent, mais ce film est un des exemples les plus parfaits d'animation pure - pour moi une référence et un chef-d'œuvre.


À l'inverse, les films d'animation modernes sont devenus d'un moralisme envahissant, l'art de l'animation y étant de plus en plus anecdotique au bénéfice d'un "message" péniblement explicite - même une série comme "L'Âge de Glace", une des rares à rester focalisée sur son sens du gag et la puissance évocatrice de son travail graphique, se sent ainsi obligée de deviser lourdement sur l'amitié, la famille, la maturité, etc.

Dans ce contexte, revoir les toutes premières aventures de Mickey a été une bouffée d'air frais : ici, l'animation n'est pas un moyen de raconter une histoire, c'est l'histoire qui est un moyen pour l'animation, servant de simple trame de fond voire de prétexte pour exprimer son art de façon abstraite et spontanée. On ne pourrait pas vraiment "résumer" ces dessins animés pour quelqu'un ne les ayant pas vus, pas plus qu'on ne peut résumer le balancement des arbres au gré du vent ou un tableau de Kandinsky : l'émotion exprimée va bien au-delà du slogan ou du tract, elle est insaisissable et à contempler en personne.

Tout est dans la réinterprétation artistique des mouvements (l'eau d'un ruisseau, un nuage de poussière qui se disperse, une porte qui claque, une attitude animale), dans les mimiques et les maniérismes, et dans une créativité et une expressivité exubérantes : comme à cette époque l'animation et les fonds devaient être dessinés à la main lors d'un processus lent, image par image, chaque dessin dégage énormément de personnalité, l'animation est très dense, surtout à comparer d'un mouvement interpolé assisté par ordinateur ; et surtout, en tant que pionniers, les artistes se sentaient libres de tout oser et tout inventer, capables d'improvisations folles qui aujourd'hui nous sidèrent.

Il y a quelque chose de granuleux, d'imparfait, et donc de très humain dans ces films, qui se retrouve aussi dans la personnalité de Mickey. Loin du bourgeois ennuyeux et sans aspérité qu'il est devenu après "Fantasia", il peut ici être hargneux, lâche, maladroit, goujat, mesquin voire voleur, mais il est toujours sympathique, s'efforçant de faire ce qu'il faut avec courage malgré ses instants de faiblesse, à l'instar de Charlot ou de Guignol. Il partage d'ailleurs avec ces derniers sa nature populaire : on le voit souvent sans le sou ou multipliant les petits boulots, et un court métrage le montre même en prison sans préciser comment il est arrivé là.


Pendant tout mon temps de jeu sur "Luigi's Mansion 2" sur Nintendo 3DS, ces pépites historiques me revenaient constamment en mémoire, du fait des références presque explicites du jeu à ces petits chefs-d’œuvre, mais surtout parce qu'on y retrouve la plupart des mêmes qualités. Il faut bien sûr remercier Nintendo pour cela, mais aussi et surtout Next Level Games.

Les Canadiens valent bien les Texans

Depuis son travail sur "Metroid Prime" et sur "Donkey Kong Country", Retro Studios est de loin le studio Nintendo occidental le plus surveillé par la presse et par les joueurs. C'est mérité : la série des "Metroid Prime" est évidemment une référence, un modèle de transition d'une formule depuis la 2D vers la 3D, et "Donkey Kong Country : Tropical Freeze" est indiscutablement un des meilleurs jeux de plateformes jamais conçus, mais pourtant, un autre studio Nintendo occidental a lui aussi beaucoup apporté à la firme japonaise - en fait, j'oserais affirmer que les Canadiens de Next Level Games valent bien les Texans de Retro Studios...

Un lecteur assidu de ce blog aura deviné que j'aime énormément Nintendo, mais je crois avoir déjà dit ici que j'ai cependant grandi avec les jeux sur micro-ordinateur : Oric, Amstrad, Amiga et PC. Ce n'est qu'au milieu de ma vie actuelle, vers mes vingt ans, que j'ai découvert Nintendo et le jeu sur console, d'abord avec l'émulation, puis avec la GameCube. Le coup de foudre a été immédiat : sans renier mes racines, j'ai tout de suite considéré le jeu sur console comme supérieur au jeu sur ordinateur ; mais quelque chose me gênait alors malgré tout chez Nintendo, en particulier sur GameCube - son côté propret, aseptisé, presque sans âme.

Il y a bien sûr des exceptions selon les périodes (les ères 8-bit et 16-bit de Nintendo sont de haute qualité, "Donkey Kong '94" en particulier est un bijou d'animation minimaliste), selon les personnages (Wario a toujours été très expressif) ou selon les jeux (si la période 3D marque le début du problème, "Donkey Kong Jungle Beat" ou "Super Mario Galaxy" s'en sortent très bien) ; mais il faut bien admettre que durant plusieurs générations de consoles de l'ère 3D, les personnages de Nintendo ont dégagé autant de charisme que des pions de Monopoly, jouant le simple rôle d'archétypes fonctionnels permettant à l'action ludique d'avoir lieu. On pourrait argumenter que c'est un choix délibéré, mais quoi qu'il en soit, un jeu s'est soudain spectaculairement démarqué de cette neutralité : "Mario Strikers Charged Football" de Next Level Games (Wii).


Sur le papier, on aurait pourtant pu croire que "Mario Strikers Charged Football" (qui est la suite d'un jeu GameCube ayant plus ou moins servi de première ébauche) serait un énième spin-off avec mascotte, façon Mario Golf ou Mario Party, et donc le dernier jeu où l'on s'attendrait à voir de la personnalité, mais ça a été l'exact contraire.

Ici, les résidents du Royaume Champignon sont bien plus que des figurines ; en fait, j'ose affirmer que c'est le premier jeu Mario en 3D donnant l'impression d'avoir affaire à un vrai univers, avec des êtres y ressentant de vraies émotions : tout le jeu véhicule une énergie incroyable transpirant la "gnaque", la hargne de gagner et la rage de perdre. Sans changer le design des personnages ni violer certains principes (pas de dialogues parlés), les artistes de Next Level Games parviennent à insuffler une âme aux héros de l'univers de Mario ; même la foule (d'ailleurs techniquement impressionnante) dégage une liesse, une authenticité et une excitation jamais ressenties par exemple dans les Mario Kart.

Tout tient au travail d'animation, au talent d'expressivité et au sens de l'humour du studio. On rit de bon cœur aux petites vignettes illustrant le marquage d'un but, on se surprend à scander le nom de son capitaine en même temps que le public, l'enthousiasme du jeu est communicatif. Cela n'est pas gâché par son gameplay, incroyablement dynamique, rappelant plus "Speedball" sur Amiga qu'un jeu de sport gentillet comme "Mario Superstar Baseball" : et que je te pousse dans la clôture électrifiée pour te piquer la balle, et que je piétine littéralement tous tes joueurs pour pouvoir lancer une "méga frappe" qui marquera cinq buts d'un coup, etc. Les terrains ne sont pas en reste, avec des Thwomps y écrasant les joueurs, des éclairs les électrocutant... sur l'un d'eux, il y a même une tornade qui fait voler des tracteurs et des vaches !

Le jeu n'est cependant pas chaotique à la manière de "Mario Kart Wii", il est en fait très rigoureux et redoutablement technique ; les leçons et les épreuves proposées, ainsi que la possibilité de s'entraîner (ou jouer) en coupant telle ou telle option, aident d'ailleurs beaucoup à explorer toute sa profondeur et toute sa finesse. Encore aujourd'hui, je suis loin d'être parvenu à le maîtriser, mais cela ne m'empêche pas de m'y amuser et de rire aux éclats à chacune de mes parties.


Ces qualités se retrouvent dans "Punch-Out!!" sur Wii, la deuxième série et le troisième jeu que Nintendo aura confiés au studio, pour une spectaculaire réussite ludique et artistique qui n'est guère surprenante : s'il y a bien une série qui exige à la fois un grand talent d'animation, de la personnalité, de l'humour et un gameplay réglé de façon chirurgicale, c'est bien "Punch-Out!!". Le jeu est assez simple, c'est presque un remake de "Punch-Out!!" sur NES et il ignore les ajouts de "Super Punch-Out!!" sur SNES, mais sa réalisation est exemplaire, et il prolonge et exploite intelligemment le gameplay du jeu NES dans une formule ludique inédite, entre le jeu d'adresse et le jeu de puzzles, s'amusant à nous faire tourner en bourrique en jouant cruellement avec nos réflexes.

Suite à ce nouveau succès, après le spin-off sportif et la série mineure, Nintendo a décidé d'encore faire monter Next Level Games en grade, et lui a confié le sort d'un personnage majeur...

Luigi superstar

Avant d'y rejouer pour éviter de dire des bêtises dans cet article, je n'avais pas beaucoup de souvenirs de "Luigi's Mansion" sur GameCube. Un ami me l'avait prêté vers la période de sa sortie, et j'ai profité d'un long weekend où j'avais la grippe pour le boucler à peu près complètement (c'est-à-dire le gagner, et collecter la plupart de ses éléments annexes). C'est un jeu idéal quand on est malade : il est facile, lent, répétitif, méthodique, court, et n'est pas très punitif ; tout en restant plaisant, il peut se jouer entièrement en "pilotage automatique".

Son pitch est une sorte de croisement entre "Resident Evil" et "Ghostbusters" : invité à prendre possession d'un manoir reçu en récompense d'un concours auquel il n'a pas participé, Luigi réalise que la vieille demeure est truffée de fantômes hostiles qui ont kidnappé son frère Mario et l'ont caché quelque part dans le vaste dédale de pièces et de couloirs. Alors qu'il est sur le point d'être lui aussi victime des fantômes, Luigi rencontre fort opportunément le professeur K. Tastroff, spécialiste du paranormal et inventeur d'un aspirateur à ectoplasmes ; tous deux vont ainsi collaborer pour exorciser les lieux et libérer Mario.

"Luigi's Mansion" est typique du début de la vie de la GameCube, où Nintendo expérimentait des concepts étonnants : une série de stratégie en temps réel avec des légumes extraterrestres, un Zelda sur l'eau qui ressemble à un dessin animé, un Super Mario au gameplay reposant sur un kärcher et un jetpack, un Metroid à la première personne... la firme japonaise semblait explorer diverses pistes en tâtonnant et chercher à impressionner avec les capacités de sa machine, ce qui après avoir connu la Wii et la Wii U peut rétrospectivement surprendre.


Le jeu laisse ainsi un fort arrière-goût de démo technique, avec ses effets de particules, ses tissus bougeant de façon réaliste, sa gestion des fluides, ses ombres et transparences... l'impression de jouer à un prototype, à un concept pas totalement abouti, est tenace : le gameplay et la mise en scène sont juste suffisants mais pas convaincants, le jeu reposant avant tout sur le remplissage et la collectionnite. On a du plaisir à conquérir et nettoyer (au propre, de sa poussière, et au figuré, de ses fantômes et éléments à découvrir) le manoir pièce après pièce, mais on ne réfléchit jamais vraiment, on n'a jamais vraiment à faire preuve d'adresse, on ne doit jamais vraiment se repérer dans la maison (la progression y est extrêmement linéaire, clef débloquée après clef débloquée), et on ne court jamais vraiment de risque ; on dirait un (bon) jeu pour jeune enfant. Et quand, après l'avoir battu une première fois, un mode plus difficile se déverrouille, celui-ci (dans la version européenne, le mode ne change pas grand-chose sinon) permet surtout de mesurer les lacunes de l'action : imprécisions, contrôles peu intuitifs, défi injuste et peu intéressant, difficulté mal dosée...

Malgré tout, "Luigi's Mansion" a séduit certains joueurs grâce à sa fraîcheur (Nintendo qui se met au survival horror, c'est étonnant, le ton a beau être parodique, l'ambiance reste horrifique avec notablement des fantômes d'enfants morts), grâce à son excellente réalisation technique, et surtout grâce à son charme : le jeu est parsemé d'excentricités adorables (Luigi qui fredonne ou sifflote le thème musical du jeu, le bouton qui sert à appeler "MAARIOOOOO"), et il présente un univers très cohérent et une ligne artistique remarquable, que l'on détaillera plus bas lorsqu'on comparera le jeu à sa suite. Même ces bons aspects sont cependant bancals : l'effet "pion de Monopoly" mentionné plus haut joue ici à plein avec des personnages qui ont l'air d'automates dans une attraction, les décors sont beaux mais architecturalement très simples et pauvres en interactions, et si le jeu nous fait sans cesse récolter de l'argent, on n'en voit guère l'utilité, un système de notation/récompense manquant cruellement pour donner du sens à l'action...

Bref : cette série avait bien besoin d'être confiée à Next Level Games.

Un potentiel (enfin) pleinement exploité

Onze ans après le premier volet, "Luigi's Mansion 2" sort donc sur Nintendo 3DS, et semble d'abord s'inscrire dans la continuité. Alors qu'il se reposait dans son pavillon (qui est d'ailleurs une des demeures que l'on peut faire bâtir à la fin de "Luigi's Mansion"), Luigi reçoit un appel urgent du professeur K. Tastroff : la Lune Noire, cristal qui rendait les fantômes amicaux et permettait donc au savant de les étudier en toute quiétude, a été brisée par une force mystérieuse... sans lui laisser le temps de formuler la moindre objection, le professeur "télépixelise" Luigi dans son laboratoire, puis l'investit de la tâche de rechercher chaque morceau du cristal dans cinq maisons hantées, afin de pacifier les fantômes puis neutraliser l'énigmatique fauteur de troubles.


En pratique, on retrouve les éléments du premier jeu : Luigi est muni d'une lampe torche et d'un "Ectoblast 5000", un aspirateur qui peut aspirer, souffler, et capturer les fantômes ; pour combattre ces derniers, il faut les surprendre en les éclairant avec la lampe torche, démarrer l'aspirateur, puis les "tirer" vers soi comme un pêcheur tire sur sa ligne. Sur GameCube, cette dernière action se faisait en tirant simultanément le stick gauche et le stick 'C' à l'opposé de la direction du fantôme, et en remettant régulièrement les sticks à leur position d'origine avant de les tirer de nouveau pour simuler une traction - pour pouvoir déplacer Luigi afin d'esquiver d'éventuels obstacles ou projectiles alors que le fantôme nous traînait dans la pièce, on pouvait bouger avec le stick gauche alors que l'on aspirait toujours le fantôme avec le stick 'C'. Sur 3DS, on "tire" un fantôme avec le pad circulaire sans second stick et sans simuler de traction par à-coups, et on esquive en sautant avec le bouton 'B' : ces contrôles semblent bien plus simples et naturels.

L'aspect exploration/aventure est lui aussi toujours là : on peut fouiller chaque meuble ou objet, interagir avec l'environnement à l'aide de sa lampe torche ou en faisant aspirer ou souffler son aspirateur (ventilateurs à faire tourner, bougies à éteindre, rideaux à bouger, cordes à tirer, etc.), on doit trouver des clefs pour ouvrir des portes, résoudre des puzzles... Contrairement au premier jeu, l'aspirateur ne peut plus souffler du feu ou de l'eau, mais on peut transporter des objets enflammés ou des seaux d'eau en les bloquant contre la buse de l'aspirateur, ce qui revient au même tout en étant ludiquement plus riche et élégant. La lampe torche ne s'oriente plus avec le stick 'C', mais on peut regarder vers le haut ou le bas avec 'X' ou 'B', ce qui fonctionne tout aussi bien...

Malgré ces bases communes, les deux jeux sont pourtant très différents dans leurs sensations, à commencer par leur présentation et leur style. Le premier "Luigi's Mansion" était esthétiquement très spécial, évoquant du stop motion dans une maison de poupée : les pièces du manoir étaient toujours parfaitement rectangulaires selon un plan quadrillé "à la Manhattan", son mobilier rappelait irrésistiblement des jouets miniatures, tout y était rond et déformé à la façon du "Cri" de Munch, la physique des particules rendait tout aérien, et l'angle de caméra renforçait encore cette impression d'être un géant qui regarde de près un tout petit monde. Quant aux personnages, ils avaient tous cet espèce de maniérisme raide détaché de son environnement typique du stop motion - Luigi, tout particulièrement, rappelait énormément Wallace dans "Wallace & Gromit" (c'est flagrant quand il sourit). Ces choix artistiques étaient très originaux et très jolis, mais en jouant, difficile d'y voir autre chose que des figurines dans un décor, d'autant que le jeu n'affichait pas d'autres ambitions.


"Luigi's Mansion 2", lui, est (vous devez vous en douter vu les premiers paragraphes de cet article) franchement dans la lignée du dessin animé américain de la première moitié du XXème siècle. Ses décors sont conçus selon une philosophie bien distincte : au lieu d'avoir une géométrie basique sur laquelle on plaque un luxe de détails (moulures, boiseries, papiers peints), l'environnement est bien plus naturel, varié et travaillé, voire tarabiscoté - escaliers en colimaçon, espaces entre les murs, cours, balcons, greniers, caves, ascenseurs, cavernes, coursives, monte-plats, cryptes, galeries, tombes, ravins, ponts suspendus, tunnels, téléphériques, passages secrets... Next Level Games dynamite la grille de "Cluedo" du premier jeu pour adopter un level design bien plus proche de ce que "Resident Evil" a fait de mieux, avec des lieux qui se renouvellent, expriment une vraie personnalité et semblent "réels", d'autant plus qu'ils sont truffés de trappes, de caches, de pièges, de mécanismes variés, de trous et de divers trompe-l'œil.

Le style graphique est toujours en partie expressionniste, mais un expressionnisme anguleux et cartoon ; cette fois-ci le jeu semble plus dessiné que peint, ce qui le rend bien plus dynamique. Cela saute aux yeux pendant l'action : l'animation des personnages et des éléments interactifs est, comme il fallait s'y attendre après "Mario Strikers Charged Football" et "Punch-Out!!", tout bonnement somptueuse, et, j'ai envie d'ajouter, inégalée dans un jeu vidéo (à ma connaissance, que j'admets sans problème être modeste). C'est bien simple : la dernière fois que j'ai eu autant l'impression de jouer à un dessin animé, c'était avec "Day of the Tentacle" de LucasArts, qui a d'ailleurs de nombreux points communs avec le style et le sens de l'humour de Next Level Games.

Jamais un personnage de Nintendo n'aura eu autant de présence que Luigi dans "Luigi's Mansion 2". Il évoque bien sûr Mickey qui explore en claquant des dents le manoir de "The Mad Doctor" (ou la maison de Minnie dans "The Gorilla Mystery"), mais aussi Charlie Chaplin, Harold Lloyd et Buster Keaton, avec la même expressivité muette et le même talent comique, et suscitant la même grande et immédiate sympathie. Cela passe par l'animation des actions de jeu courantes (sa façon de faire passer un Toad devant lui quand il franchit une porte accompagné est adorable), mais aussi par les actions uniques propres au versant "aventure" du jeu (activation d'un mécanisme, découverte d'un passage secret, épier ce qui se passe dans la pièce d'à côté par un trou dans le mur, etc.), mises en scène comme autant de gags typiques de Disney ou du cinéma muet, et qui s'insèrent naturellement dans le flot du jeu sans lourdeur ou impression de coupure, dotant notre héros de toute une gamme d'émotions.


La personnalité de Luigi ressort d'autant mieux que son tandem avec K. Tastroff est fabuleusement réussi. Le professeur était déjà un personnage bavard dans le premier jeu (ici, c'est un des seuls à parler), mais il y servait d'abord de manuel ou de tutoriel, sans existence propre. Dans "Luigi's Mansion 2", il a bien plus de consistance, et ses dialogues et son attitude vis-à-vis de Luigi sont hilarants : obsédé par ses recherches et très conscient de sa supériorité, il adore s'écouter parler, et sa façon de traiter notre héros ou ses assistants Toad m'a beaucoup rappelé la relation entre Léonard de Vinci et son disciple dans la bande dessinée "Léonard". Ses répliques sarcastiques, superbement traduites, sont franchement savoureuses, et il joue un rôle important dans l'attachement que l'on peut avoir pour le jeu et son univers. J'aurais adoré le voir en personnage jouable dans "Mario Kart 8".

Évidemment, les fantômes ont eux aussi droit à un traitement analogue, mais assez paradoxal. Dans le premier "Luigi's Mansion", les fantômes étaient de deux types : les fantômes "lambda", de formes plutôt variées, qui erraient un peu partout dans le manoir et étaient là essentiellement pour surprendre Luigi puis se faire aspirer illico ; et les fantômes "narratifs", chacun d'aspect unique et avec ses propres dialogues, qui hantaient des lieux bien précis et que Luigi ne pouvait aspirer qu'après avoir résolu un petit puzzle (sans qu'ils opposent beaucoup plus de résistance que les autres).
Les fantômes de "Luigi's Mansion 2" sont très différents : on peut les capturer d'emblée, ils sont muets, et on en croise toujours la même demi-douzaine de types distincts, mais ils ont pourtant beaucoup plus de présence et ils semblent plus "vivants" que même les fantômes "narratifs" du premier jeu. C'est dû, là encore, à une expressivité cartoon, une richesse d'animation et un sens du gag prodigieux, liés en partie à leurs interactions avec l'environnement : on les surprend en effet fréquemment en train de préparer de mauvais coups, cacher des objets, tendre des pièges, saboter des mécanismes, ou s'amuser à se battre à coups de polochons ou s'ébrouer dans l'eau comme de sales gosses pour se distraire, tels les "Lonesome Ghosts" de Mickey. Chaque type de fantôme a une personnalité propre, et ils semblent ainsi être de véritables protagonistes plutôt que de simples alibis de game design.

Mais les fantômes de "Luigi's Mansion 2" semblent aussi plus "réels" parce qu'ils représentent une vraie menace - et nous arrivons là aux caractéristiques de gameplay du jeu...


"Luigi's Mansion" avait une action nébuleuse, brouillonne, mal définie ; ses combats contre les fantômes étaient tellement dénués d'enjeux ou de mécaniques qu'ils étaient plus une simple activité permettant de se dérouiller entre deux déplacements ou puzzles qu'un jeu. "Luigi's Mansion 2", lui, annonce vite la couleur : sa partie "action" tient clairement du beat 'em up. Cela paraît évident lorsqu'on examine le casting des fantômes, évoqué brièvement plus haut : il y a la chair à canon verte, les "gros bras" rouges, les bleus qui se cachent et lancent des projectiles, les violets qui disparaissent souvent et surgissent en traître pour nous paralyser de peur, les indigos et les gros jaunes qui chacun à leur façon "minent le terrain", les oranges servant de mini-boss, et les blancs qui possèdent parfois de gros animaux ou des objets et qui sont les boss principaux... on se croirait dans "Streets of Rage" !

Cette liste des ennemis les plus courants peut paraître courte, mais comme dans tout bon beat 'em up, elle est non exhaustive : il y a aussi des ennemis mineurs, comme dans le premier jeu (araignées, chauves-souris, etc.), des plantes carnivores, des fantômes rares ou même que l'on ne voit qu'une seule fois (avec un Boo par mission, des mini-boss ponctuels), et surtout, là encore comme dans un beat 'em up, de nombreux accessoires, armes et déguisements qui peuvent équiper les ectoplasmes et les transformer radicalement - lunettes noires qui les protègent de notre lampe torche et qui doivent d'abord être aspirées, casque de soudeur qu'il faut attendre qu'ils relèvent, armures, épées, etc.

Mais au-delà de ces types bien distincts, la variété des combats vient aussi de notre capacité d'action et de notre liberté de choisir entre différentes stratégies (cf. plus bas), et du contexte dans lequel surviennent les ennemis : les successions et combinaisons de fantômes ainsi que les arènes dans lesquelles on se bat changent bien sûr la donne, on ne guerroie pas de la même façon sur une grande mare gelée ou dans un placard à balais, dans une serre labyrinthique ou dans une salle de concert avec une estrade large accessible depuis de petits escaliers. Comme dans les meilleurs beat 'em up, "Luigi's Mansion 2" exploite son bestiaire de façon intelligente en le plaçant dans des situations bien distinctes, explorant et approfondissant tout le potentiel de ses "briques de base". Ainsi, la diversité des décors améliore à la fois l'immersion et le gameplay.


L'arsenal de Luigi, quant à lui, est devenu beaucoup plus intéressant que dans "Luigi's Mansion", demandant enfin une certaine maîtrise. Que l'on en juge plutôt :
  • La lampe torche ne fige plus les fantômes juste en les éclairant, il faut les "flasher" en appuyant sur 'A', ce qui bien sûr ne peut pas être refait sans une petite latence.
  • On peut également "charger" la lampe torche en laissant 'A' appuyé, ce qui permet de "flasher" selon un angle plus large, et donc de figer plus de fantômes simultanément.
  • L'aspirateur dispose maintenant d'une jauge (à laquelle on peut rajouter des crans contre de l'argent, jusqu'à trois) qui se remplit pendant l'aspiration d'un ou plusieurs fantômes ; quand au moins un cran est atteint et que l'on appuie sur 'A', la jauge se vide, et l'aspirateur aspire d'un coup une grande quantité d'énergie, proportionnelle au montant de la jauge.
  • Si on capture un fantôme sans vider cette jauge pour le coup de grâce, on n'obtient aucun argent. Dans le cas contraire, plus le seuil atteint est élevé au moment de la capture, plus on récolte de pièces, de billets ou de lingots.
  • Plus on capture de fantômes en une seule prise, plus on touche également d'argent.
  • On peut toujours aspirer directement les ennemis mineurs, mais on peut désormais aussi les "flasher" avec la lampe torche, ce qui les transforme en pièce. Certains d'entre eux sont dorés et ont tendance à fuir très vite, si on les "flashe" avant qu'ils ne se cachent, ils se changent en lingot (valant vingt pièces).
  • Un fantôme doré, rapportant énormément d'argent, hante parfois des lieux en retrait.
  • Comme mentionné ci-dessus, on peut désormais utiliser notre argent pour améliorer notre équipement.
Ces éléments, combinés avec les différents types d'arènes et de fantômes, font enfin entrer dans la série les notions de prises de risques, de choix stratégiques, de priorités et de réflexes - et enfin le jeu récompense le joueur à la hauteur de ses efforts, de son talent et de son audace.


Quel type de fantôme aspirer en premier dans un groupe hétérogène ? D'abord les plus faciles, pour dégager le terrain avant de s'attaquer aux plus durs, ou d'abord les plus dangereux ? Faut-il faire des captures rapides individuelles en "grignotant" le groupe, ou prendre le temps et les risques nécessaires à "flasher" le gros du groupe simultanément et ainsi en finir au plus vite avec plus d'argent à la clef ? Faut-il capturer un fantôme dès que la jauge de notre aspirateur nous en donne l'occasion, ou tenter de le faire avec la jauge au maximum, au risque d'engloutir accidentellement l'ectoplasme sans récompense ou d'être entretemps pris pour cible par un de ses comparses ?

Des questions de ce genre, cruciales dans un bon beat 'em up et absentes du premier "Luigi's Mansion", sont omniprésentes dans "Luigi's Mansion 2". C'est un jeu que l'on doit apprendre à maîtriser, avec un système de combat excellemment pensé qui rend son mode multijoueur en ligne jubilatoire et addictif : alors qu'on aurait pu un peu trop vite prendre ce mode pour un bonus dispensable, celui-ci se révèle tellement plaisant et généreux que plus d'un an après sa sortie, les gens y jouaient encore.

Toutes ces dynamiques sont rendues possibles par la nouvelle structure du jeu. Non seulement, comme on l'a dit, il y a maintenant cinq manoirs à exorciser l'un après l'autre, mais l'aventure est maintenant divisée en missions, entre lesquelles on "débriefe" dans le laboratoire du professeur K. Tastroff : il y a pour chaque manoir cinq missions narratives d'exploration (excepté pour le quatrième qui en a trois, et le cinquième qui est spécial), plus un combat de boss, plus une mission bonus de combats avec des vagues de fantômes semi-aléatoires.
Ce type de changement de structure est courant quand une série passe des consoles de salon aux consoles portables - il faut en effet s'adapter à des sessions de jeu courtes, comme l'a fait par exemple "Metroid Fusion" ; mais l'impact sur le gameplay est ici bien plus profond : c'est le découpage en missions qui introduit la notion d'évaluation de notre performance (et la rejouabilité qui va avec) grâce à une notation individuelle des missions, de une à trois étoiles.

Un peu comme dans un jeu Sonic en 3D ("Sonic Colours" par exemple), la notation dépend de plusieurs facteurs contradictoires : temps pris pour boucler la mission, nombre de fantômes capturés, nombre de points de vie perdus, quantité d'argent collecté.


Plus on prend de risques pour capturer les fantômes en leur extorquant le plus d'argent possible, et plus on met sa vie en danger ; plus on fouille de fond en comble les lieux pour en tirer jusqu'à la moindre pièce, et plus on perd de temps... les trois étoiles ne s'obtiennent pas en étant bêtement besogneux, comme le manoir en récompense finale du premier "Luigi's Mansion" ; elles exigent de d'abord reconnaître le terrain (on joue souvent une mission une première fois "pour l'histoire" puis pour la performance), de planifier son action pour maximiser ses gains (fantômes capturés, argent) et minimiser ses pertes (points de vie et temps perdus), puis de s'exécuter au mieux, en espérant que son plan soit le bon...

Car la notation ne repose pas uniquement sur notre aptitude à affronter les fantômes, elle repose aussi sur le versant "aventure" du jeu : pour aller vite, il faut bien connaître l'agencement du manoir et ses raccourcis, et pour récolter de l'argent, il faut avoir repéré ses trous, ses caches, ses mécanismes et ses trompe-l'œil, qui regorgent de trésors et sont très nombreux comme déjà mentionné plus haut, sans oublier de débusquer les ennemis dorés, qu'il faut aussi réussir à attraper.

La tâche est d'autant plus riche et complexe qu'un même manoir peut se transformer d'une mission à l'autre : les fantômes et les ennemis secondaires changent bien sûr de place, des zones peuvent se verrouiller alors que d'autres se libèrent, des caches se vident et d'autres se remplissent, et des objets et meubles peuvent sembler disparaître mystérieusement...
C'est en effet une autre nouveauté de "Luigi's Mansion 2" : le Boo présent dans chaque mission peut maintenant rendre invisibles des parties du décor, rematérialisables grâce au "révéloscope", sorte de lumière noire qu'émet notre lampe torche en pressant 'Y', qui détecte les émanations spectrales. Une fois un objet invisible localisé, celui-ci émet des "nébulosphères" à aspirer, après quoi l'objet réintègre l'univers des vivants avec une récompense à la clef (le Boo, de l'argent, une gemme, la résolution d'un puzzle)...

Toute cette course au score, inattendue dans un jeu parodiant les vieux "Resident Evil", est exaltante et sent bon l'esprit "arcade", chose guère étonnante venant de la part de Next Level Games...


Comme pour "New Super Mario Bros. 2", cette dimension de scoring fait un bien fou au jeu, rendu plus nerveux et plus dense par toutes ces opportunités ; d'autant que les temps de chargement vont du court à l'inexistant, que les missions, une fois défrichées et assimilées, peuvent en général se résoudre en moins d'un quart d'heure, et que les développeurs ont pris soin de rendre toutes les cinématiques passables à la pression d'un bouton. J'ai moi-même pris un immense plaisir à obtenir trois étoiles partout, la difficulté de leur obtention étant suffisante pour rendre le défi passionnant, tout en restant suffisamment accommodante pour ne pas lasser.

Mais "Luigi's Mansion 2" n'impose pas de s'investir dans sa quête des trois étoiles ou d'approfondir son système de combat pour profiter d'une expérience de haute qualité, on peut y jouer comme à un jeu d'aventure/action narratif et n'accomplir chaque mission qu'une seule fois et pourtant passer un moment inoubliable. C'est dû à ce qui a déjà été cité : l'excellence de l'animation, l'humour omniprésent, l'ambiance des décors (les manoirs de styles et contextes différents rafraîchissent le sentiment de découverte tout au long du jeu), l'excitation des combats, le côté plaisant et addictif de la collecte d'argent - mais aussi à ce que Shigeru Miyamoto a décrit lors d'une interview comme une priorité de cette suite : les puzzles.

Les puzzles étaient importants dans le premier "Luigi's Mansion" puisqu'ils permettaient la capture des "gros" fantômes ; mais un peu comme le reste du jeu, ils étaient explicites et démonstratifs, le jeu nous soufflant pour ainsi dire leur solution (et lourdement). Les puzzles de "Luigi's Mansion 2" sont quant à eux à l'opposé de cette philosophie, ils misent sur l'exploration, l'observation, et surtout l'interaction avec les décors - sur une réflexion active plutôt que passive. Comme dans un jeu d'aventure "point & click", ils n'apparaissent pas au premier coup d'œil, perdus dans des environnements d'allure naturelle ; c'est en fouinant et en manipulant tout autour de soi qu'on les découvre et les résout, en exploitant la diversité et la complémentarité du panel d'actions de Luigi : se déplacer, regarder en haut et en bas, fouiller ou actionner les objets (bouton 'X'), aspirer, souffler, déplacer un objet en le bloquant dans la buse de l'aspirateur, "flasher" avec la lampe torche, rematérialiser avec le "révéloscope" des objets ou meubles disparus.


Combinées avec un environnement riche, à l'agencement parfois complexe et plein de surprises, ces mécaniques s'avèrent aussi efficaces que l'inventaire et la liste d'actions des jeux d'aventure LucasArts, les puzzles associés s'approchant bien plus de ce type de qualité que des clichés de "Resident Evil" du genre "insérer le médaillon en forme de lune dans le trou en forme de lune". Avec son système de combat digne d'un beat 'em up, cela fait de "Luigi's Mansion 2" le meilleur jeu à la "Resident Evil" classique auquel j'ai joué, ludiquement parlant (pour ce qui est de l'ambiance ou de l'histoire, "Silent Hill" et "Fatal Frame" apportent bien sûr autre chose, ce dernier ayant également des combats excellents). Et même sur le plan du suspens ou de l'atmosphère, la découverte de chaque manoir, malgré son décalage et son humour, s'effectue avec son lot de tension...

La difficulté des puzzles, comme celle des autres facettes du gameplay, est progressive grâce aux buts facultatifs du jeu : argent dissimulé, obtention des trois étoiles, Boo et gemmes à dénicher dans chaque mission. Ces deux derniers objectifs sont parfois retors, certaines gemmes exigeant une réelle curiosité voire de l'ingéniosité. Arriver simplement au bout de l'aventure reste malgré tout à la portée d'un enfant, et la recherche des gemmes est beaucoup aidée par l'ordre dans lequel le menu les affiche, qui est le même que celui de leur obtention au fil des missions.

Reste à parler de la réalisation. J'ai déjà copieusement évoqué la réussite artistique du jeu, et en particulier celle de l'animation, je ne m'étendrai donc pas. Je redis par contre ici que, comme d'habitude, les captures d'écran de la 3DS ne rendent pas justice à ses graphismes, surtout avec l'effet relief activé : le jeu est fortement pensé pour le relief, comme l'était le film d'animation "Coraline" (qu'il rappelle d'ailleurs beaucoup), non seulement sur le plan immersif, mais aussi ludique - voir clairement quels éléments sont devant ou derrière le héros aide énormément pour aspirer les fantômes ou éviter les obstacles, et produit un effet "magique" qui convient bien au contexte du manoir hanté. Il peut sembler paradoxal que j'insiste ainsi sur l'impression de jouer à un dessin animé puisque le jeu est non seulement en 3D polygonée mais aussi en relief, mais en réalité tout s'accorde parfaitement, comme dans le grandiose "Raiponce" de Disney (2010).


Sur le plan technique, le jeu sait bien exploiter les capacités de la 3DS, trouvant le bon compromis entre le niveau de détails et la fluidité de l'action (les éclairages sont magnifiques) - rien à redire.

Une étoile est née

"Luigi's Mansion 2" est, pour résumer en un mot, un triomphe. Un triomphe pour Nintendo, qui a produit là un de ses meilleurs jeux de cette génération. Un triomphe pour la Nintendo 3DS, qui prouve qu'elle peut accueillir des jeux ambitieux de grande qualité, et que son effet relief est artistiquement et ludiquement pertinent. Un triomphe pour la série, qui non contente de s'extraire de l'image de démo technique de son premier épisode se propulse dès son deuxième parmi les meilleures séries du genre. Un triomphe pour Luigi, qui a maintenant éclipsé son frère dans le cœur de bien des fans de Nintendo. Et un triomphe pour Next Level Games, qui à force de talent et de travail aura gravi les échelons au sein de la firme du Royaume Champignon.

Bien sûr, on peut comprendre la déception relative de certains joueurs qui avaient aimé le premier "Luigi's Mansion" malgré ses insuffisances : ils avaient aimé les points forts du jeu, à savoir sa logique de survival horror et sa forte identité visuelle, et espéré qu'une suite développe et approfondisse ces qualités-là ; mais "Luigi's Mansion 2" est parti sur d'autres bases, avec une logique ludique reposant sur des missions récompensées par du scoring, et une identité visuelle bien distincte de celle du premier volet.

Il serait cependant injuste de reprocher à un studio aussi prometteur d'avoir exprimé sa propre vision, et il serait très difficile de nier la réussite du jeu, qui est aussi celle d'un certain type de management. Je cite Jason Carr, cofondateur de Next Level Games :
Jason Carr : Et la chose importante pour beaucoup d'entre nous, en particulier avec des gars qui prennent de l'âge et ont des familles, c'était de croire que l'on pouvait construire un environnement où l'on pouvait créer des jeux sans tuer personne. Pas glander, mais ne pas installer une table de billard au milieu du studio et crier "Voici de la bouffe gratuite et du soda ! Restez ici à jamais ! Mangez du fruit magique !" Nous savons qu'il existe une vie en dehors du jeu vidéo.
Et pour beaucoup de gars, quand ils arrivent au travail, ils sont frais, concentrés, ça les stimule. Ils veulent venir travailler, on ne les y traîne pas. Ça a très, très bien marché. Et c'est le genre d'endroit où les gens veulent rester ; pas tout le temps, mais quand ils sont ici, ils sont contents.
Encore une fois, une nouvelle citation de Miyamoto-san, mais il nous demande tout le temps, "Est-ce que l'équipe s'amuse ? Est-ce qu'ils s'amusent en faisant le jeu ?" C'est vraiment important que l'équipe passe du bon temps ici, parce qu'ils sentent - et je suis d'accord - que si on est malheureux ça se sentira dans le résultat. Comment faire un jeu Nintendo attractif qui soit vraiment amusant ?
On imagine mal un "manager" de Electronic Arts demander à son équipe si elle s'amuse...

Et ça se sent dans le résultat.

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